Luang Prabang, capitale laotienne du tourisme - Enfants du Mékong
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Découvrir > Chronique d’Asie<br />
<strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong>,<br />
<strong>capitale</strong> <strong>laotienne</strong><br />
<strong>du</strong> <strong>tourisme</strong><br />
Ancienne ville royale <strong>du</strong> Laos inscrite au patrimoine<br />
mondial de l’humanité, <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong> a su conserver<br />
dans ses murs un double héritage religieux et<br />
colonial. Son ouverture au <strong>tourisme</strong> de masse depuis<br />
quelques années pose aujourd’hui la question de<br />
la conservation de son âme. Par Jean-Matthieu Gautier<br />
<strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong> dort nuit et jour sous<br />
le soleil ou sous la pluie. En cette<br />
période de mousson, les intempéries glissent<br />
sur elle et elle n’y réagit qu’avec la<br />
sagesse bouddhique des anciens. Bo pen<br />
nhang (ça ne fait rien), cette expression<br />
dont les Laotiens usent continuellement<br />
convient très bien à la petite cité.<br />
Laos d’hier<br />
« La ville est bâtie sur les deux rives <strong>du</strong><br />
fleuve (…). La partie la plus considérable<br />
entoure un mont isolé (…) au sommet<br />
<strong>du</strong>quel on a établi une pagode... » écri-<br />
20 ❚ N°154 ❚ SEPTEMBRE - OCTOBRE 2008<br />
vait en 1861 l’explorateur français Henri<br />
Mouhot, « découvreur » de <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong>.<br />
Il faut sans hésiter gravir les 350 marches<br />
qui mènent au Wat Phousi (« la montagne<br />
merveilleuse »). De là, on peut observer<br />
<strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong>, superbement lovée dans<br />
son bras de <strong>Mékong</strong>. Mais voilà ce que l’on<br />
en conclut : il n’est pas dit que <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong><br />
soit une ville à proprement parler.<br />
À première vue c’est un village, un gros<br />
bourg de province comme on aime les<br />
bourgs de province dans les clichés que<br />
l’on en garde de l’enfance. Ou un parc<br />
d’attractions, un décor de cinéma ? Non<br />
Parterres de fleurs et<br />
nostalgie coloniale<br />
expriment la douceur<br />
de vivre de <strong>Luang</strong><br />
<strong>Prabang</strong> à chaque<br />
coin de rue.<br />
Photos : © EdM<br />
plus. Au fond, c’est peut-être le parfum<br />
d’irréalité qui suinte de ses murs chaulés<br />
et des dorures de ses temples qui procure<br />
cette impression : <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong> n’existe<br />
pas. C’est bien simple d’ailleurs, <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong><br />
est une légende. C’est l’histoire <strong>du</strong><br />
prince Fa Ngum, petit-fils <strong>du</strong> gouverneur<br />
de Xieng Dong Xieng Thong (ancien nom<br />
de <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong>) exilé à la cour d’Angkor<br />
et « descendant <strong>du</strong> dieu <strong>du</strong> ciel ». En 1353,<br />
il revient à Xieng Dong Xieng Thong à la<br />
tête de 10 000 guerriers. Il y renverse son<br />
oncle, réunit les provinces environnantes<br />
et fonde le royaume de Lane Xang Hom<br />
Khao, le pays <strong>du</strong> million d’éléphants et <strong>du</strong><br />
parasol blanc, soit le Laos. Dans ses<br />
bagages, outre sa femme, la princesse<br />
khmère Keo Kaengkanya, se trouve une<br />
statue en or <strong>du</strong> Bouddha Pra Bang offerte<br />
par le roi d’Angkor <strong>du</strong> moment. Bien des<br />
décennies plus tard, le Bouddha Pra Bang<br />
– devenu entre-temps l’emblème mystique<br />
et le symbole protecteur <strong>du</strong> royaume –<br />
donne son nouveau nom à la ville : <strong>Luang</strong><br />
<strong>Prabang</strong>. Fin de l’histoire.<br />
MAGAZINE
Laos d’aujourd’hui<br />
Mais aujourd’hui, sur la ligne de crête qui<br />
entoure la péninsule, les nuages circulent<br />
au ralenti. Ce sont de beaux stratus, ici ou<br />
là traversés de rayons de soleil qui vont<br />
s’épanouir sur les toits rouges de la « Perle<br />
<strong>du</strong> <strong>Mékong</strong> ». Le spectacle n’est pas désagréable<br />
mais soudain, fendant l’air à son<br />
tour, un avion plonge, passe au-dessus de<br />
la rivière Nam Khan et s’en va atterrir juste<br />
après le fouillis de palmiers lataniers. Sur<br />
son fuselage blanc et bleu se dessine une<br />
fleur de frangipanier, fier emblème de la<br />
compagnie Lao Aviation qui effectue des<br />
liaisons quotidiennes entre <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong><br />
et Bangkok, Chiang Mai, Hanoi et Siem<br />
Reap… soit les villes les plus touristiques<br />
d’Asie <strong>du</strong> Sud-Est.<br />
Depuis la fin de la guerre froide, le Laos<br />
s’est ouvert de façon spectaculaire au<br />
<strong>tourisme</strong>. Moins de 20 000 personnes<br />
avaient visité le pays en 1996. En 2007,<br />
l’Autorité nationale <strong>laotienne</strong> <strong>du</strong> <strong>tourisme</strong><br />
(LATA) a déclaré plus d’1,5 million de visiteurs.<br />
Après son inscription au patrimoine<br />
mondial de l’humanité par l’Unesco en<br />
1995, et grâce à l’Agence française de<br />
développement qui finance en grande<br />
partie la rénovation et la conservation<br />
des 600 édifices classés de la ville, <strong>Luang</strong><br />
<strong>Prabang</strong> est devenue la destination phare<br />
<strong>du</strong> Laos. « Sa structure urbaine originale<br />
qui mêle harmonieusement architecture<br />
coloniale française et temples bouddhistes<br />
lui procure une image férocement<br />
marquée d’exotisme, de romantisme, de<br />
lyrisme et de mysticisme » peut-on lire<br />
dans les brochures, qui conseillent également<br />
de « compter trois jours pour<br />
<strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong> ».<br />
En quelques années, cafés internet et<br />
guest houses ont fleuri à <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong>,<br />
aussi bien que les parterres d’orchidées<br />
blanches, d’hibiscus ou de bougainvillées.<br />
Sur Chao Fa Ngum road, la rue principale,<br />
les restaurants affichent des cartes où<br />
cheeseburgers, pizzas et autres pâtes alla<br />
carbonara ont remplacé le traditionnel laap<br />
et s’intercalent tant<br />
bien que mal entre<br />
boutiques de souvenirs<br />
et agences de<br />
voyage. Partout, il<br />
est possible de régler<br />
ses achats en bahts<br />
(la monnaie thaïlandaise),<br />
en dollars ou<br />
en euros. Quant à la<br />
population… Le routard<br />
en short repousse<br />
progressivement<br />
les moines en robe<br />
safran dans l’enceinte<br />
de leurs temples.<br />
Les enfants<br />
jouent toujours dans<br />
les cours des écoles<br />
mais ne s’en précipitent pas moins vers ce<br />
nouvel ami qui porte beau ses Ray-Ban<br />
Aviator et qui, le sourire aidant, finira bien<br />
par leur acheter un lot de cartes postales.<br />
En fait, deux sortes de <strong>Luang</strong> Prabanais<br />
se côtoient dans les rues de la « cité aux<br />
mille pagodes » : ceux qui vivent <strong>du</strong> <strong>tourisme</strong><br />
et ceux qui n’en vivent pas. Selon<br />
une note <strong>du</strong> ministère français des Affaires<br />
étrangères relative à la place <strong>du</strong> secteur<br />
touristique dans le développement des<br />
pays émergents, l’emploi non qualifié et<br />
semi-qualifié dans les hôtels ne représente<br />
que 10% <strong>du</strong> chiffre d’affaires lié au <strong>tourisme</strong>.<br />
Autant dire une paille. Bo pen nhang<br />
vous diront les Laotiens – que Mouhot<br />
décrivait comme « paisibles, soumis,<br />
patients, sobres, confiants, cré<strong>du</strong>les,<br />
superstitieux, fidèles, simples et naïfs ».<br />
Tant de qualités qui ne les préparent pas<br />
forcément à l’inéluctable « touristisation »<br />
de leur pays. ■<br />
Dans les années 90, le Laos comptait moins de 20 000 visiteurs par an.<br />
Ils étaient plus d’1,5 million en 2007.<br />
OH ! PÉTANQUE !<br />
Décidément, il en faut peu pour être heureux<br />
au Laos… Dix mètres carrés de terre, quelques<br />
rondins de bambous pour délimiter un périmètre,<br />
un bouquet de palmiers pour l’ombre<br />
salvatrice… et voilà un terrain de pétanque.<br />
Ces terrains-là, sommaires mais non improvisés,<br />
foisonnent à <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong>. Et pas seulement,<br />
car le Laos entier est un de ces pays<br />
de cocagne où, à toute heure <strong>du</strong> jour, il est bon<br />
de se réunir pour taquiner le cochonnet, une<br />
bière Beerlao à la main à la place <strong>du</strong> pastis de<br />
rigueur. Qu’aurait dit Pagnol si, flânant dans<br />
les rues de <strong>Luang</strong> <strong>Prabang</strong>, il s’était avisé<br />
qu’on y jouait à la pétanque avec une nonchalance<br />
aussi religieuse qu’à Aubagne, lui qui<br />
aimait rappeler que « Dieu aime les joueurs<br />
de boules puisqu’il a fait les feuilles des platanes<br />
proportionnées à la force <strong>du</strong> soleil » ?<br />
MAGAZINE N°154 ❚ SEPTEMBRE - OCTOBRE 2008 ❚ 21