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Émile Zola - La Terre

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maintenait son gain d'un air de tranquille obstination. Pourtant, il paraissait avoir tort. Cela n'en finissait plus.<br />

Jesus−Christ, furieux, en arrivait a gueuler si haut, que le patron intervint. Alors, il se leva, circula de table en<br />

table, avec un acharnement d'ivrogne, promenant ses cartes, pour soumettre le coup aux autres<br />

consommateurs. Il assommait tout le monde. Et il se remit a crier, il revint vers le vieux, qui, fort de son<br />

mauvais droit, restait stoique sous les injures.<br />

—<strong>La</strong>che! feignant! sors donc un peu, que je te demolisse!<br />

Puis, brusquement, Jesus−Christ reprit sa chaise en face de l'autre; et, calme:<br />

—Moi, je sais un jeu... Faut parier, hein! veux−tu?<br />

Il avait sorti une poignee de pieces de cent sous, quinze a vingt, et il les planta en une seule pile devant lui.<br />

—V'la ce que c'est... Mets−en autant.<br />

Le vieux, interesse, sortit sa bourse sans une parole, dressa une pile egale.<br />

—Alors, moi, j'en prends une a ton tas, et regarde!<br />

Il saisit la piece, se la posa gravement sur la langue comme une hostie, puis, d'un coup de gosier, l'avala.<br />

—A ton tour, prends a mon tas... Et celui qui en mange le plus a l'autre, les garde. V'la le jeu!<br />

Les yeux ecarquilles, le vieux accepta, fit disparaitre une premiere piece avec peine. Seulement, Jesus−Christ,<br />

tout en criant qu'il n'y avait pas besoin de se presser, gobait les ecus comme des pruneaux. Au cinquieme, il y<br />

eut une rumeur dans le cafe, un cercle se fit, petrifie d'admiration. Ah! le bougre, quelle gargamelle, pour se<br />

coller ainsi de la monnaie dans le gesier! Le vieux avalait sa quatrieme piece, lorsqu'il se renversa, la face<br />

violette, etouffant, ralant; et, un moment, on le crut mort. Jesus−Christ s'etait leve, tres a l'aise, l'air<br />

goguenard: il en avait pour son compte dix dans l'estomac, c'etait toujours trente francs de gain qu'il<br />

emportait.<br />

Buteau, inquiet, craignant d'etre compromis, si le vieux ne s'en tirait pas, avait quitte la table; et, comme il<br />

regardait les murs d'un oeil vague, sans parler de payer, bien que l'invitation vint de lui, Jean regla la note.<br />

Cela acheva de rendre le gaillard tres bon enfant. Dans la cour, apres avoir attele, il prit le camarade aux<br />

epaules.<br />

—Tu sais, je veux que t'en sois. <strong>La</strong> noce sera pour dans trois semaines... J'ai passe chez le notaire, j'ai signe<br />

l'acte, tous les papiers seront prets.<br />

Et, faisant monter Lise dans sa voiture:<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Allons, houp! que je te ramene!... Je passerai par Rognes, ca ne m'allongera guere.<br />

Jean revint seul dans sa voiture. Il trouvait ca naturel, il les suivit. Cloyes dormait, retombe a sa paix morte,<br />

eclaire par les etoiles jaunes des reverberes; et, de la cohue du marche, on n'entendait plus; que le pas attarde<br />

et trebuchant d'un paysan ivre. Puis, la route s'etendit toute noire. Il finit pourtant par apercevoir l'autre<br />

voiture, celle qui emportait le menage. Ca valait mieux, c'etait tres bien. Et il sifflait fortement, rafraichi par la<br />

nuit, libre et envahi d'une allegresse.<br />

VI 97

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