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Émile Zola - La Terre

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C'etait la fin du marche. L'argent luisait au soleil, sonnait sur les tables des marchands de vin. A la derniere<br />

minute, tout se baclait. Dans l'angle de la place Saint−Georges, il ne restait que les quelques betes non<br />

vendues. Peu a peu, la foule avait reflue du cote de la rue Grande, ou les marchandes de fruits et de legumes<br />

debarrassaient la chaussee, remportaient leurs paniers vides. De meme, il n'y avait plus rien place de la<br />

Volaille, que de la paille et de la plume. Et deja des carrioles partaient, on attelait dans les auberges, on<br />

denouait les guides des chevaux attaches aux anneaux des trottoirs. Vers toutes les routes, de toutes parts, des<br />

roues fuyaient, des blouses bleues se gonflaient au vent, dans les secousses du pave.<br />

Lengaigne passa ainsi, au trot de son petit cheval noir, apres avoir utilise son derangement, en achetant une<br />

faux. Macqueron et sa fille Berthe s'attardaient encore dans les boutiques. Quant a la Frimat, elle retournait a<br />

pied, et chargee comme au depart, car elle rapportait ses paniers pleins de crottin ramasse en route. Chez le<br />

pharmacien de la rue Grande, parmi les dorures, Palmyre, ereintee et debout, attendait qu'on lui preparat une<br />

potion pour son frere, malade depuis une semaine: quelque sale drogue qui lui mangeait vingt sous, sur les<br />

quarante si durement gagnes. Mais ce qui fit hater le pas flaneur des filles Mouche et de leur societe, ce fut<br />

d'apercevoir Jesus−Christ, tres soul, tenant la largeur de la rue. On croyait savoir qu'il avait emprunte, ce<br />

jour−la, en hypothequant sa derniere piece de terre. Il riait tout seul, des pieces de cent sous tintaient dans ses<br />

grandes poches.<br />

Comme on arrivait enfin au Bon <strong>La</strong>boureur, Buteau dit simplement, d'un air gaillard:<br />

—Alors, vous partez?... Ecoute donc, Lise, si tu restais avec ta soeur, pour que nous mangions un morceau?<br />

Elle fut surprise, et comme elle se tournait vers Jean, il ajouta:<br />

—Jean aussi peut rester, ca me fera plaisir.<br />

Rose et Fanny echangerent un coup d'oeil. Certainement, le garcon avait son idee. Sa figure ne contait<br />

toujours rien. N'importe! il ne fallait pas gener les choses.<br />

—C'est ca, dit Fanny, restez... Moi, je vais filer avec la mere. On nous attend.<br />

Francoise, qui n'avait pas lache la vache, declara sechement:<br />

—Moi aussi, je m'en vais.<br />

Et elle s'enteta. Elle s'agacait a l'auberge, elle voulait emmener sa bete tout de suite. On dut ceder, tellement<br />

elle devenait desagreable. Des qu'on eut attele, la vache fut attachee derriere la voiture, et les trois femmes<br />

monterent.<br />

A cette minute seulement, Rose, qui attendait une confession de son fils, s'enhardit a lui demander:<br />

—Tu ne fais rien dire a ton pere?<br />

—Non, rien, repondit Buteau.<br />

Elle le regardait dans les yeux, elle insista.<br />

—C'est donc qu'il n'y a pas de nouveau?<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—S'il y a du nouveau, vous le saurez quand il sera bon a savoir.<br />

VI 95

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