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Émile Zola - La Terre

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cabarets bourdonnaient d'un continuel flot de buveurs, entrant, sortant, rentrant, dans les debats interminables<br />

des marchandages. C'etait le plein de la bousculade et du vacarme, a ne plus s'entendre: un veau, separe de sa<br />

mere, beuglait sans fin; des chiens, parmi la foule, des griffons noirs, de grands barbets jaunes, se sauvaient en<br />

hurlant, une patte ecrasee; puis, dans des silences brusques, on n'entendait plus qu'un vol de corbeaux,<br />

deranges par le bruit, tournoyant, croassant a la pointe du clocher. Et, dominant la senteur chaude du betail,<br />

une violente odeur de corne roussie, une peste sortait d'une marechalerie voisine, ou les paysans profitaient du<br />

marche pour faire ferrer leurs betes.<br />

—Hein? trente! repeta Buteau sans se lasser, en se rapprochant de la paysanne.<br />

—Non, trente−cinq!<br />

Alors, comme un autre acheteur etait la, marchandant lui aussi, il saisit la vache aux machoires, les lui ouvrit<br />

de force, pour voir les dents. Puis, il les lacha, avec une grimace. Justement, la bete s'etait mise a, fienter, les<br />

bouses tombaient molles; et il les suivit des yeux, sa grimace s'accentuait. L'acheteur, un grand palot,<br />

impressionne, s'en alla.<br />

—Je n'en veux plus, dit Buteau. Elle a un sang tourne.<br />

Cette fois, la vendeuse commit la faute de s'emporter; et c'etait ce qu'il voulait, elle le traita salement, il<br />

repondit par un flot d'ordures. On s'attroupait, on riait. Derriere la femme, le mari ne bougeait toujours point.<br />

Il finit par la toucher du coude, et brusquement elle cria:<br />

—<strong>La</strong> prenez−vous a trente−deux pistoles?<br />

—Non, trente!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Il s'en allait de nouveau, elle le rappela d'une voix etranglee.<br />

—Eh bien, sacre bougre, emmenez−la!... Mais, nom de Dieu! si c'etait a refaire, j'aimerais mieux vous foutre<br />

ma main sur la figure!<br />

Elle etait hors d'elle, tremblante de fureur. Lui riait bruyamment, ajoutait des galanteries, offrait de coucher,<br />

pour le reste.<br />

Tout de suite, Lise s'etait rapprochee. Elle tira la paysanne a l'ecart, lui donna ses trois cents francs, derriere un<br />

tronc d'arbre. Deja Francoise tenait la vache, mais il fallut que Jean poussa la bete par derriere, car elle<br />

refusait de demarrer. On pietinait depuis deux heures, Rose et Fanny avaient attendu le denouement, muettes,<br />

sans lassitude. Enfin, comme on partait, on chercha Buteau disparu, on le retrouva qui tapait sur le ventre du<br />

marchand de cochons. Il venait d'avoir son petit cochon a vingt francs; et, pour payer, il compta d'abord son<br />

argent dans sa poche, il ne sortit que juste la somme, la recompta dans son poing a demi ferme. Ce fut tout une<br />

affaire ensuite, quand il voulut fourrer le cochon au fond d'un sac, qu'il avait apporte sous sa blouse. <strong>La</strong> toile<br />

mure creva, les pattes de l'animal passerent, ainsi que le groin. Et il le chargea de la sorte sur son epaule, il<br />

l'emporta grouillant, reniflant, poussant des cris atroces.<br />

—Dis donc, Lise, et mes cent sous? reclama−t−il. J'ai gagne.<br />

Elle les lui donna, pour rire, croyant qu'il ne les prendrait point. Mais il les prit tres bien, les fit disparaitre.<br />

Tous, lentement, se dirigerent vers le Bon <strong>La</strong>boureur.<br />

VI 94

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