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Émile Zola - La Terre

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—Quarante pistoles pour toi, petiote! dit−il en lui allongeant une tape dans le dos, histoire de plaisanter.<br />

Mais elle se facha, elle lui rendit sa tape, d'un air furieux de rancune.<br />

—Fiche−moi la paix, hein! Je ne joue pas avec les hommes.<br />

—Il s'en egaya plus fort, il se tourna vers Lise, qui restait serieuse, un peu pale.<br />

—Et toi, veux−tu que je m'en mele? Je parie que je l'ai a trente pistoles... Paries−tu cent sous?<br />

—Oui, je veux bien... Si ca te plait d'essayer...<br />

Rose et Fanny approuvaient de la tete, car elles savaient le garcon feroce au marche, tetu, insolent, menteur,<br />

voleur, a vendre les choses trois fois leur prix et a se faire donner tout pour rien. Les femmes le laisserent<br />

donc s'avancer avec Jean, tandis qu'elles s'attardaient en arriere, afin qu'il n'eut pas l'air d'etre avec elles.<br />

<strong>La</strong> foule augmentait du cote des bestiaux, les groupes quittaient le centre ensoleille de la place, pour se porter<br />

sous les allees. Il y avait la un va−et−vient continu, le bleu des blouses se foncait a l'ombre des tilleuls, des<br />

taches mouvantes de feuilles verdissaient les visages colores. Du reste, personne n'achetait encore, pas une<br />

vente n'avait eu lieu, bien que le marche fut ouvert depuis une heure. On se recueillait, on se tatait. Mais,<br />

au−dessus des tetes, dans le vent tiede, un tumulte passa. C'etait deux chevaux, attaches cote a cote, qui se<br />

dressaient et se mordaient, avec des hennissements furieux et le raclement de leurs sabots sur le pave. On eut<br />

peur, des femmes s'enfuirent; pendant que, accompagnes de jurons, de grands coups de fouet qui claquaient<br />

comme des coups de feu, ramenaient le calme. Et, a terre, dans le vide laisse par la panique, une bande de<br />

pigeons s'abattit, marchant vite, piquant l'avoine du crottin.<br />

—Eh bien! la mere, qu'est−ce que vous la vendez donc? demanda Buteau a la paysanne.<br />

Celle−ci, qui avait vu le manege, repeta tranquillement:<br />

—Quarante pistoles.<br />

D'abord, il prit la chose en farce, il plaisanta, s'adressa a l'homme, toujours a l'ecart et muet.<br />

—Dis, vieux! ta bourgeoise est avec, a ce prix−la?<br />

Mais, tout en goguenardant, il examinait de pres la vache, la trouvait telle qu'il la faut pour etre une bonne<br />

laitiere, la tete seche, aux cornes fines et aux grands yeux, le ventre un peu fort sillonne de grosses veines, les<br />

membres plutot greles, la queue mince, plantee tres haut. Il se baissa, s'assura de la longueur des pis, de<br />

l'elasticite des trayons, places carrement et bien perces. Puis, appuye d'une main sur la bete, il entama le<br />

marche, en tatant d'un air machinal les os de la croupe.<br />

—Quarante pistoles, hein? c'est pour rire... Voulez−vous trente pistoles?<br />

Et sa main s'assurait de la force et de la bonne disposition des os. Elle descendit ensuite, se coula entre les<br />

cuisses, a cet endroit ou la peau nue, d'une belle couleur safranee, annoncait en lait abondant.<br />

—Trente pistoles, ca va−t−il?<br />

—Non, quarante, repondit la paysanne.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

VI 92

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