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Émile Zola - La Terre

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—Par ici, dit Lise en tournant la tete.<br />

Les chevaux etaient au fond, attaches a la barre, la robe nue et fremissante, n'ayant qu'une corde nouee au cou<br />

et a la queue. Sur la gauche, les vaches restaient presque toutes libres, tenues simplement en main par les<br />

vendeurs, qui les changeaient de place pour les mieux montrer. Des groupes s'arretaient, les regardaient; et la,<br />

on ne riait pas, on ne parlait guere.<br />

Immediatement, les quatre femmes tomberent en contemplation devant une vache blanche et noire, une<br />

cotentine, qu'un menage, l'homme et la femme, venait vendre: elle, en avant, tres brune, l'air tetu, tenant la<br />

bete; lui, derriere, immobile et ferme. Ce fut un examen recueilli, profond, de cinq minutes; mais elles<br />

n'echangerent ni une parole, ni un coup d'oeil; et elles s'en allerent, elles se planterent de meme, en face d'une<br />

seconde vache, a vingt pas de la. Celle−ci, enorme, toute noire, etait offerte par une jeune fille, presque une<br />

enfant, l'air joli avec sa baguette de coudrier. Puis, il y eut encore sept ou huit stations, aussi longues, aussi<br />

muettes, d'un bout a l'autre de la ligne des betes a vendre. Et, enfin, les quatre femmes retournerent devant la<br />

premiere vache, ou, de nouveau, elles s'absorberent.<br />

Cette fois, seulement, ce fut plus serieux. Elles s'etaient rangees sur une seule ligne, elles fouillaient la<br />

cotentine sous la peau, d'un regard aigu et fixe. Du reste, la vendeuse elle aussi ne disait rien, les yeux ailleurs,<br />

comme si elle ne les avait pas vues revenir la et s'aligner.<br />

Pourtant, Fanny se pencha, lacha un mot tout bas a Lise. <strong>La</strong> vieille Fouan et Francoise se communiquerent de<br />

meme une remarque, a l'oreille. Puis, elles retomberent dans leur silence et leur immobilite, l'examen<br />

continua.<br />

—Combien? demanda tout d'un coup Lise.<br />

—Quarante pistoles, repondit la paysanne.<br />

Elles feignirent d'etre mises en fuite; et, comme elles cherchaient Jean, elles eurent la surprise de le trouver<br />

derriere elles avec Buteau, causant tous les deux en vieux amis. Buteau, venu de la Chamade pour acheter un<br />

petit cochon, etait la, en train d'en marchander un. Les cochons, dans un parc volant, au cul de la voiture qui<br />

les avait apportes, se mordaient et criaient, a faire saigner les oreilles.<br />

—En veux−tu vingt francs? demanda Buteau au vendeur.<br />

—Non, trente!<br />

—Et zut! couche avec!<br />

Et, gaillard, tres gai, il vint vers les femmes, riant d'aise aux visages de sa mere, de sa soeur et de ses deux<br />

cousines, absolument comme s'il les eut quittees la veille. Du reste, elles−memes garderent leur placidite, sans<br />

paraitre se rappeler les deux ans de querelle et de brouille. Seule, la mere, a qui l'on avait appris la premiere<br />

rencontre, rue Grouaise, le regardait de ses yeux brides, cherchant a lire pourquoi il etait alle chez le notaire.<br />

Mais ca ne se voyait pas. Ni l'un ni l'autre n'en ouvrirent la bouche.<br />

—Alors, cousine, reprit−il, c'est donc que tu achetes une vache?... Jean m'a conte ca... Et, tenez! il y en a une<br />

la, oh! la plus solide du marche, une vraie bete!<br />

—Il designait precisement la cotentine blanche et noire.<br />

—Quarante pistoles, merci! murmura Francoise.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

VI 91

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