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Émile Zola - La Terre

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designa brusquement le dos d'un homme, qui enfilait cette derniere rue.<br />

—Tiens! on croirait Buteau.<br />

—C'est lui, declara Lise. Sans doute qu'il va chez M. Baillehache... Est−ce qu'il accepterait sa part?<br />

Jean fit claquer son fouet en riant.<br />

—On ne sait pas, il est si malin!<br />

Buteau n'avait pas semble les voir, bien qu'il les eut reconnus de loin. Il marchait, l'echine ronde; et tous deux<br />

le regarderent s'eloigner, en songeant, sans le dire, qu'on allait pouvoir s'expliquer. Dans la cour du Bon<br />

<strong>La</strong>boureur, Francoise, restee muette, descendit la premiere, par une roue de la carriole. Cette cour etait deja<br />

pleine de voitures detelees, posees sur leurs brancards, tandis qu'un bourdonnement d'activite agitait les vieux<br />

batiments de l'auberge.<br />

—Alors, nous y allons? demanda Jean, quand il revint de l'ecurie, ou il avait accompagne son cheval.<br />

—Bien sur, tout de suite.<br />

Pourtant, dehors, au lieu de gagner directement, par la rue du Temple, le marche des bestiaux, qui se tenait sur<br />

la place Saint−Georges, le garcon et les deux filles s'arreterent, flanerent le long de la rue Grande, parmi les<br />

marchandes de legumes et de fruits, installees aux deux bords. Lui, coiffe d'une casquette de soie, avait une<br />

grande blouse bleue, sur un pantalon de drap noir; elles egalement endimanchees, les cheveux serres dans<br />

leurs petits bonnets ronds, portaient des robes semblables, un corsage de lainage sombre sur une jupe gris−fer,<br />

que coupait un grand tablier de cotonnade a minces raies roses; et ils ne se donnaient pas le bras, ils<br />

marchaient a la file, les mains ballantes, au milieu des coudoiements de la foule. C'etait une bousculade de<br />

servantes, de bourgeoises, devant les paysannes accroupies, qui, venues chacune avec un ou deux paniers, les<br />

avaient simplement poses et ouverts par terre. Ils reconnurent la Frimat, les poignets casses, ayant de tout dans<br />

ses deux paniers debordants, des salades, des haricots, des prunes, meme trois lapins en vie. Un vieux, a cote,<br />

venait de decharger une carriole de pommes de terre, qu'il vendait au boisseau. Deux femmes, la mere et la<br />

fille, celle−ci, Norine, rouleuse et celebre, etalaient sur une table boiteuse de la morue, des harengs sales, des<br />

harengs saurs, un vidage de fonds de baril dont la saumure forte piquait a la gorge. Et la rue Grande, si deserte<br />

en semaine, malgre ses beaux magasins, sa pharmacie, sa quincaillerie, surtout ses Nouveautes parisiennes, le<br />

bazar de <strong>La</strong>mbourdieu, n'etait plus assez large chaque samedi, les boutiques combles, la chaussee barree par<br />

l'envahissement des marchandes.<br />

Lise et Francoise, suivies de Jean, pousserent de la sorte jusqu'au marche a la volaille, qui etait rue<br />

Beaudonniere. <strong>La</strong>, des fermes avaient envoye de vastes paniers a claire−voie, ou chantaient des coqs et d'ou<br />

sortaient des cous effares de canards. Des poulets morts et plumes, s'alignaient dans des caisses, par lits<br />

profonds. Puis, c'etaient encore des paysannes, chacune apportant ses quatre ou cinq livres de beurre, ses<br />

quelques douzaines d'oeufs, ses fromages, les grands maigres, les petits gras, les affines, gris de cendre.<br />

Plusieurs etaient venues avec deux couples de poules liees par les pattes. Des dames marchandaient, un gros<br />

arrivage d'oeufs attroupait du monde devant une auberge, Au Rendez−vous des Poulaillers. Justement, parmi<br />

les hommes qui dechargeaient les oeufs, se trouvait Palmyre; car, le samedi, lorsque le travail manquait a<br />

Rognes, elle se louait a Cloyes, portant des fardeaux a se rompre les reins.<br />

—En voila une qui gagne son pain! fit remarquer Jean.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

<strong>La</strong> foule augmentait toujours. Il arrivait encore des voitures par la route de Mondoubleau. Elles defilaient au<br />

petit trot sur le pont. A droite et a gauche, le Loir se deroulait, avec ses courbes molles, coulant au ras des<br />

VI 89

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