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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Pourtant, Hourdequin restait soucieux de l'attitude muette de Clou. Il se leva, jeta un regard dehors; et, ayant<br />

apercu le garde champetre, il ordonna d'aller chercher le pere Loiseau et de l'amener, mort ou vif. Ce Loiseau<br />

etait un vieux paysan sourd, oncle de Macqueron, qui l'avait fait nommer membre du conseil, ou il ne venait<br />

jamais, parce que, disait−il, ca lui cassait la tete. Son fils travaillait a la borderie, il etait a l'entiere devotion du<br />

maire. Aussi, des qu'il parut, effare, celui−ci se contenta de lui crier, au fond d'une oreille, que c'etait pour la<br />

route. Deja, chacun ecrivait gauchement son bulletin, le nez sur le papier, les bras elargis, afin qu'on ne put<br />

lire. Puis, on proceda au vote de la moitie des depenses, dans une petite boite de bois blanc, pareille a un tronc<br />

d'eglise. <strong>La</strong> majorite fut superbe, il y eut six voix pour, une seule contre, celle de Lengaigne. Cet animal de<br />

Clou avait bien vote. Et la seance fut levee, apres que chacun eut signe, sur le registre, la deliberation, que le<br />

maitre d'ecole avait preparee a l'avance, en laissant en blanc le resultat du vote. Tous s'en allaient pesamment,<br />

sans un salut, sans un serrement de main, debandes dans l'escalier.<br />

—Ah! j'oubliais, dit Hourdequin a Lequeu, qui attendait toujours, votre demande d'augmentation est<br />

repoussee... Le conseil trouve qu'on depense deja trop pour l'ecole.<br />

—Tas de brutes! cria le jeune homme, vert de bile, quand il fut seul. Allez donc vivre avec vos cochons!<br />

<strong>La</strong> seance avait dure deux heures, et Hourdequin retrouva devant la mairie M. de Chedeville, qui revenait<br />

seulement de sa tournee dans le village. D'abord, le cure ne lui avait pas fait grace d'une des miseres de<br />

l'eglise? le toit creve, les vitraux casses, les murs nus. Puis, comme il s'echappait enfin de la sacristie, qui avait<br />

besoin d'etre repeinte, les habitants, tout a fait enhardis, se l'etaient dispute, chacun l'emmenant, ayant une<br />

reclamation a presenter, une faveur a obtenir. L'un l'avait traine a la mare commune, qu'on ne curait plus par<br />

manque d'argent; l'autre voulait un lavoir couvert au bord de l'Aigre, a une place qu'il indiquait; un troisieme<br />

reclamait l'elargissement de la route devant sa porte, pour que sa voiture put tourner; jusqu'a une vieille<br />

femme, qui, apres avoir pousse le depute chez elle, lui montra ses jambes enflees, en lui demandant si, a Paris,<br />

il ne connaissait point un remede. Effare, essouffle, il souriait, faisait le debonnaire, promettait toujours. Ah!<br />

un brave homme, pas fier avec le pauvre monde!<br />

—Eh bien! partons−nous? demanda Hourdequin. On m'attend a la ferme.<br />

Mais, justement, Coelina et sa fille Berthe accouraient de nouveau sur leur porte, en suppliant M. de<br />

Chedeville d'entrer un instant; et celui−ci n'aurait pas mieux demande, respirant enfin, soulage de retrouver les<br />

jolis yeux clairs et meurtris de la jeune personne.<br />

—Non, non! reprit le fermier, nous n'avons pas le temps, une autre fois!<br />

Et il le forca, etourdi, a remonter dans le cabriolet; pendant que, sur une interrogation du cure reste la, il<br />

repondait que le conseil avait laisse en l'etat la question de la paroisse. Le cocher fouetta son cheval, la voiture<br />

fila, au milieu du village familier et ravi. Seul, furieux, l'abbe refit a pied ses trois kilometres, de Rognes a<br />

Bazoches−le−Doyen.<br />

Quinze jours plus lard, M. de Chedeville etait nomme a une grande majorite; et, des la fin d'aout, il avait tenu<br />

sa promesse, la subvention etait accordee a la commune, pour l'ouverture de la nouvelle route. Les travaux<br />

commencerent tout de suite.<br />

Le soir du premier coup de pioche, Coelina, maigre et noire, etait a la fontaine, a ecouter la Becu, qui, longue,<br />

les mains nouees sous son tablier, parlait sans fin. Depuis une semaine, la fontaine se trouvait revolutionnee<br />

par cette grosse affaire du chemin: on ne parlait que de l'argent accorde aux uns, que de la rage medisante des<br />

autres. Et la Becu, chaque jour, tenait Coelina au courant de ce que disait Flore Lengaigne; non, pour les<br />

facher, bien sur; mais, au contraire, pour les faire s'expliquer, parce que c'etait la meilleure facon de<br />

s'entendre. Des femmes s'oubliaient, droites, les bras ballants, leurs cruches pleines a leurs pieds.<br />

V 87

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