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Émile Zola - La Terre

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projet d'aboutir, c'etait avant tout la question des expropriations. Chacun y voyait une fortune, s'inquietait de<br />

savoir si une piece a lui etait touchee, s'il vendrait de sa terre cent francs la perche a la commune. Et, s'il<br />

n'avait pas de champ entame, pourquoi donc aurait−il vote l'enrichissement des autres? Il se moquait bien de<br />

la pente plus douce, de la route plus courte! Son cheval tirerait davantage, donc!<br />

Aussi Hourdequin n'avait−il pas besoin de les faire causer, pour connaitre leur opinion. Lui ne desirait si<br />

vivement ce chemin que parce qu'il passait devant la ferme et desservait plusieurs de ses pieces. De meme,<br />

Macqueron et Delhomme, dont les terrains allaient se trouver en bordure, poussaient au vote. Cela faisait<br />

trois; mais ni Clou, ni l'autre conseiller, n'avaient interet dans la question; et, quant a Lengaigne, il etait<br />

violemment oppose au projet, n'ayant rien a y gagner d'abord, desespere ensuite que son rival, l'adjoint, y<br />

gagnat quelque chose. Si Clou et l'autre, douteux, votaient mal, on serait trois contre trois. Hourdequin devint<br />

inquiet. Enfin, la discussion commenca.<br />

—A quoi ca sert? a quoi ca sert? repetait Lengaigne. Puisqu'on a deja une route! C'est bien le plaisir de<br />

depenser de l'argent, d'en prendre dans la poche de Jean pour le mettre dans la poche de Pierre... Encore, toi,<br />

tu as promis de faire cadeau de ton terrain.<br />

C'etait une sournoiserie a l'adresse de Macqueron. Mais celui−ci, qui regrettait amerement son acces de<br />

liberalite, mentit avec carrure.<br />

—Moi, je n'ai rien promis... Qui t'a dit ca?<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Qui? mais toi, nom de Dieu!... Et devant du monde! Tiens! monsieur Lequeu etait la, il peut parler...<br />

N'est−ce pas, monsieur Lequeu?<br />

Le maitre d'ecole, que l'attente de son sort enrageait, eut un geste de brutal dedain. Est−ce que ca le regardait,<br />

leurs saletes d'histoires!<br />

—Alors, vrai! continua Lengaigne, s'il n'y a plus d'honnetete sur terre, autant vivre dans les bois!... Non, non!<br />

je n'en veux pas de votre chemin! Un joli vol!<br />

Voyant les choses se gater, le maire se hata d'intervenir.<br />

—Tout ca, ce sont des bavardages. Nous n'avons pas a entrer dans les querelles particulieres... C'est l'interet<br />

public, l'interet commun, qui doit nous guider.<br />

—Bien sur, declara sagement Delhomme. <strong>La</strong> route nouvelle rendra de grands services a toute la commune...<br />

Seulement, il faudrait savoir. Le prefet nous dit toujours: “Votez une somme, nous verrons apres ce que le<br />

gouvernement pourra faire pour vous.” Et, s'il ne faisait rien, a quoi bon perdre notre temps a voter?<br />

Du coup, Hourdequin crut devoir lancer la grosse nouvelle, qu'il tenait en reserve.<br />

—A ce propos, messieurs, je vous annonce que M. de Chedeville s'engage a obtenir du gouvernement une<br />

subvention de la moitie des depenses... Vous savez qu'il est l'ami de l'empereur. Il n'aura qu'a lui parler de<br />

nous, au dessert.<br />

Lengaigne lui−meme en fut ebranle, tous les visages avaient pris une expression beate, comme si le<br />

saint−sacrement passait. Et la reelection du depute se trouvait assuree en tous cas: l'ami de l'empereur etait le<br />

bon, celui qui etait a la source des places et de l'argent, l'homme connu, honorable, puissant, le maitre! Il n'y<br />

eut d'ailleurs que des hochements de tete. Ces choses allaient de soi, pourquoi les dire?<br />

V 86

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