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Émile Zola - La Terre

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Il se remit a son aile de pigeon, il continua:<br />

—Vous savez que votre concurrent, M. Rochefontaine, le proprietaire des Ateliers de construction de<br />

Chateaudun, est un libre−echangiste enrage?<br />

Et ils causerent un instant de cet industriel, qui occupait douze cents ouvriers; un grand garcon intelligent et<br />

actif, tres riche d'ailleurs, tout pret a servir l'empire, mais si blesse de n'avoir pu obtenir l'appui du prefet, qu'il<br />

s'etait obstine a se poser en candidat independant. Il n'avait aucune chance, les electeurs des campagnes le<br />

traitaient en ennemi public, du moment ou il n'etait pas du cote du manche.<br />

—Parbleu! reprit M. de Chedeville, lui ne demande qu'une chose, c'est que le pain soit a bas prix, pour payer<br />

ses ouvriers moins cher.<br />

Le fermier, qui allait se verser un verre de bordeaux, reposa la bouteille sur la table.<br />

—Voila le terrible! cria−t−il. D'un cote, nous autres, les paysans, qui avons besoin de vendre nos grains a un<br />

prix remunerateur. De l'autre, l'industrie, qui pousse a la baisse, pour diminuer les salaires. C'est la guerre<br />

acharnee, et comment finira−t−elle, dites−moi?<br />

En effet, c'etait l'effrayant probleme d'aujourd'hui, l'antagonisme dont craque le corps social. <strong>La</strong> question<br />

depassait de beaucoup les aptitudes de l'ancien beau, qui se contenta de hocher la tete, en faisant un geste<br />

evasif.<br />

Hourdequin, ayant empli son verre, le vida d'un trait.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Ca ne peut pas finir... Si le paysan vend bien son ble, l'ouvrier meurt de faim; si l'ouvrier mange, c'est le<br />

paysan qui creve... Alors, quoi? je ne sais pas, devorons−nous les uns les autres!<br />

Puis, les deux coudes sur la table, lance, il se soulagea violemment; et son secret mepris pour ce proprietaire<br />

qui ne cultivait pas, qui ignorait tout de la terre dont il vivait, se sentait a une certaine vibration ironique de sa<br />

voix.<br />

—Vous m'avez demande des faits pour vos discours... Eh bien! d'abord, c'est votre faute, si la Chamade perd,<br />

Robiquet, le fermier que vous avez la, s'abandonne, parce que son bail est a bout, et qu'il soupconne votre<br />

intention de l'augmenter. On ne vous voit jamais, on se moque de vous et l'on vous vole, rien de plus naturel...<br />

Ensuite, il y a, a votre ruine, une raison plus simple: c'est que nous nous ruinons tous, c'est que la Beauce<br />

s'epuise, oui! la fertile Beauce, la nourrice, la mere!<br />

Il continua. Par exemple, dans sa jeunesse, le Perche, de l'autre cote du Loir, etait un pays pauvre, de maigre<br />

culture, presque sans ble, dont les habitants venaient se louer pour la moisson, a Cloyes, a Chateaudun, a<br />

Bonneval; et, aujourd'hui, grace a la hausse constante de la main−d'oeuvre, voila le Perche qui prosperait, qui<br />

bientot l'emporterait sur la Beauce; sans compter qu'il s'enrichissait avec l'elevage, les marches de<br />

Mondoubleau, de Saint−Calais et de Courtalain fournissaient le plat pays de chevaux, de boeufs et de<br />

cochons. <strong>La</strong> Beauce, elle, ne vivait que sur ses moutons. Deux ans plus tot, lorsque le sang de rate les avait<br />

decimes, elle avait traverse une crise terrible, a ce point que, si le fleau eut continue, elle en serait morte.<br />

Et il entama sa lutte a lui, son histoire, ses trente annees de bataille avec la terre, dont il sortait plus pauvre.<br />

Toujours les capitaux lui avaient manque, il n'avait pu amender certains champs comme il l'aurait voulu, seul<br />

le marnage etait peu couteux, et personne autre que lui ne s'en preoccupait. Meme histoire pour les fumiers, on<br />

n'employait que le fumier de ferme, qui etait insuffisant: tous ses voisins se moquaient, a le voir essayer des<br />

engrais chimiques, dont la mauvaise qualite, du reste, donnait souvent raison aux rieurs. Malgre ses idees sur<br />

V 79

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