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apercevait les jambes, peu a peu exaspere de la voir si haut, hors de sa portee, pris inconsciemment d'un<br />
besoin de male, la rattraper et la tenir.<br />
—Quand je te dis que tu ne te rompras rien!... Deboule, tu tomberas dans mes bras.<br />
—Non, non!<br />
Il s'etait place devant la meule, il elargissait les bras, lui offrait sa poitrine, pour qu'elle se jetat. Et, lorsque, se<br />
decidant, fermant les yeux, elle se laissa aller, sa chute fut si prompte, sur la pente glissante du foin, qu'elle le<br />
culbuta, en lui enfourchant les cotes de ses deux cuisses. Par terre, les cottes troussees, elle etranglait de rire,<br />
elle begayait qu'elle ne s'etait pas fait de mal. Mais, a la sentir brulante et suante contre sa face, il l'avait<br />
empoignee. Cette odeur acre de fille, ce parfum violent de foin fouette de grand air, le grisaient, raidissaient<br />
tous ses muscles, dans une rage brusque de desir. Puis, c'etait autre chose encore, une passion ignoree pour<br />
cette enfant, et qui crevait d'un coup, une tendresse de coeur et de chair, venue de loin, grandie avec leurs jeux<br />
et leurs gros rires, aboutissant a cette envie de l'avoir, la, dans l'herbe.<br />
—Oh! Jean, assez! tu me casses!<br />
Elle riait toujours, croyant qu'il jouait. Et lui, ayant rencontre les yeux ronds de Palmyre, tressaillit et se<br />
releva, grelottant, de l'air eperdu d'un ivrogne que la vue d'un trou beant degrise. Quoi donc? ce n'etait pas<br />
Lise qu'il voulait, c'etait cette gamine! Jamais l'idee de la peau de Lise contre la sienne, ne lui avait seulement<br />
fait battre le coeur; tandis que tout son sang l'etouffait, a la seule pensee d'embrasser Francoise. Maintenant, il<br />
savait pourquoi il se plaisait tant a rendre visite et a etre utile aux deux soeurs. Mais l'enfant etait si jeune! il<br />
en restait desespere et honteux.<br />
Justement, Lise revenait de chez les Fouan. En chemin, elle avait reflechi. Elle aurait mieux aime Buteau,<br />
parce que, tout de meme, il etait le pere de son petit. Les vieux avaient raison, pourquoi se bousculer? Le jour<br />
ou Buteau dirait non, il y aurait toujours la Jean qui dirait oui.<br />
Elle aborda ce dernier, et tout de suite:<br />
—Pas de reponse, l'oncle ne sait rien... Attendons.<br />
Effare, fremissant encore, Jean la regardait, sans comprendre. Puis, il se souvint: le mariage, le mioche, le<br />
consentement de Buteau, toute cette affaire qu'il considerait, deux heures plus tot, comme avantageuse pour<br />
elle et pour lui. Il se hata de dire:<br />
—Oui, oui, attendons, ca vaut mieux.<br />
<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />
<strong>La</strong> nuit tombait, une etoile brillait deja au fond du ciel couleur de violette. On ne distinguait, sous le<br />
crepuscule croissant, que les rondeurs vagues des premieres meules, qui bossuaient l'etendue rase des prairies.<br />
Mais les odeurs de la terre chaude s'exhalaient plus fortes, dans le calme de l'air, et les bruits s'entendaient<br />
davantage, prolonges, d'une limpidite musicale. C'etaient des voix d'hommes et de femmes, des rires<br />
mourants, l'ebrouement d'une bete, le heurt d'un outil; tandis que, s'entetant sur un coin de pre, les faucheurs<br />
allaient toujours, sans relache; et le sifflement des faux montait encore, large, regulier, de cette besogne qu'on<br />
ne voyait plus.<br />
Deux ans s'etaient passes, dans cette vie active et monotone des campagnes; et Rognes avait vecu, avec le<br />
retour fatal des saisons, le train eternel des choses, les memes travaux, les memes sommeils.<br />
V<br />
V 77