05.07.2013 Views

Émile Zola - La Terre

Émile Zola - La Terre

Émile Zola - La Terre

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Elle l'interrompit d'un geste, elle savait bien que ca ne tirait pas a consequence, la gaudriole a la ferme.<br />

—Il y a encore que je n'ai absolument que ma peau a vous apporter, tandis que vous possedez cette maison et<br />

de la terre.<br />

De nouveau, elle fit un geste pour dire que, dans sa position, avec un enfant, elle pensait comme lui que les<br />

choses se compensaient.<br />

—Non, non, ce n'est pas tout ca, declara−t−elle enfin. Seulement, c'est Buteau...<br />

—Puisqu'il ne veut pas.<br />

—Bien sur, et l'amitie n'y est plus, car il s'est trop mal conduit... Mais, tout de meme, il faut consulter Buteau.<br />

Jean reflechit une grande minute. Puis, sagement:<br />

—Comme vous voudrez... Ca se doit, par rapport a l'enfant.<br />

Et la Frimat, qui, gravement, elle aussi, vidait le seau d'egoutture dans le chaudron, croyait devoir approuver<br />

la demarche, tout en se montrant favorable a Jean, un honnete garcon, celui−la, pas tetu, pas brutal, lorsqu'on<br />

entendit, au dehors, Francoise rentrer avec les deux vaches.<br />

—Dis donc, Lise, cria−t−elle, viens donc voir... <strong>La</strong> Coliche s'est abime le pied.<br />

Tous sortirent, et Lise, a la vue de la bete qui boitait, le pied gauche de devant meurtri, ensanglante, eut une<br />

brusque colere, un de ces eclats bourrus dont elle bousculait sa soeur, quand celle−ci etait petite et qu'elle se<br />

mettait en faute.<br />

—Encore une de tes negligences, hein?... Tu te seras endormie dans l'herbe, comme l'autre fois.<br />

—Mais non, je t'assure... Je ne sais pas ce qu'elle a pu faire. Je l'avais attachee au piquet, elle se sera pris le<br />

pied dans sa corde.<br />

—Tais−toi donc, menteuse!... Tu me la tueras un jour, ma vache!<br />

Les yeux noirs de Francoise s'allumerent. Elle etait tres pale, elle begaya, revoltee:<br />

—Ta vache, ta vache... Tu pourrais bien dire notre vache.<br />

—Comment, notre vache? une vache a toi, gamine!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Oui, la moitie de tout ce qui est ici est a moi, j'ai le droit d'en prendre et d'en abimer la moitie, si ca<br />

m'amuse!<br />

Et les deux soeurs, face a face, se devisagerent, menacantes, ennemies. Dans leur longue tendresse, c'etait la<br />

premiere querelle douloureuse, sous ce coup de fouet du tien et du mien, l'une irritee de la rebellion de sa<br />

cadette, l'autre obstinee et violente devant l'injustice. L'ainee ceda, rentra dans la cuisine pour ne pas gifler la<br />

petite. Et, lorsque celle−ci, apres avoir mis ses vaches a l'etable, reparut et vint a la huche se couper une<br />

tranche de pain, il se fit un silence.<br />

III 68

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!