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Émile Zola - La Terre

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ce surnom lui nuisait, au marche. Des bourgeoises s'etaient detournees de ses carottes et de ses choux<br />

superbes, avec des nausees de repugnance. Malgre sa grande douceur, cela la jetait hors d'elle.<br />

—Voyons, dites−moi, vous, Caporal, est−ce raisonnable?... Est−ce qu'il n'est pas permis d'employer tout ce<br />

que le bon Dieu nous a mis dans la main? Et puis, avec ca que les crottes des betes sont plus propres!... Non,<br />

c'est de la jalousie, ils m'en veulent, a Rognes, parce que le legume pousse plus fort chez moi... Dites, Caporal,<br />

est−ce que ca vous degoute, vous?<br />

Jean, embarrasse, repondit:<br />

—Dame! ca ne me ragoute pas beaucoup... On n'est pas habitue a ca, ce n'est peut−etre bien qu'une idee.<br />

Cette franchise desola la vieille femme. Elle qui n'etait pas cancaniere, ne put retenir son amertume.<br />

—C'est bon, ils vous ont deja tourne contre moi... Ah! si vous saviez comme ils sont mechants, si vous vous<br />

doutiez de ce qu'ils disent de vous!<br />

Et elle lacha les commerages de Rognes sur le jeune homme. D'abord, on l'y avait execre, parce qu'il etait<br />

ouvrier, qu'il sciait et rabotait du bois, au lieu de labourer la terre. Ensuite, quand il s'etait mis a la charrue, on<br />

l'avait accuse de venir manger le pain des autres, dans un pays qui n'etait pas le sien. Est−ce qu'on savait d'ou<br />

il sortait? N'avait−il point fait quelque mauvais coup, chez lui, qu'il n'osait seulement pas y retourner? Et l'on<br />

espionnait ses rapports avec la Cognette, on disait qu'a eux deux, un beau soir, ils donneraient un bouillon de<br />

onze heures au pere Hourdequin, pour le voler.<br />

—Oh! les canailles! murmura Jean, bleme d'indignation.<br />

Lise, qui puisait un pot de lessive bouillante dans le chaudron, se mit a rire, a ce nom de la Cognette,<br />

qu'elle−meme prononcait parfois, histoire de le plaisanter.<br />

—Et, puisque j'ai commence, vaut mieux aller jusqu'au bout, poursuivit la Frimat. Eh bien! il n'y a pas<br />

d'horreur qu'on ne raconte, depuis que vous venez ici... <strong>La</strong> semaine derniere, n'est−ce pas? vous avez fait<br />

cadeau a l'une et a l'autre de foulards, qu'on leur a vus dimanche, a la messe... C'est trop sale, ils affirment que<br />

vous couchez avec les deux!<br />

Du coup, tremblant, mais resolu, Jean se leva et dit:<br />

—Ecoutez, la mere, je vas repondre devant vous, ca ne m'embarrasse pas... Oui, je vas demander a Lise si elle<br />

veut que je l'epouse... Vous entendez, Lise? je vous demande, et si vous dites oui, vous me rendrez bien<br />

content.<br />

Justement, elle vidait son pot dans le cuvier. Mais elle ne se pressa pas, acheva d'arroser soigneusement le<br />

linge; puis, les bras nus et moites de vapeur, devenue grave, elle le regarda en face.<br />

—Alors, c'est serieux?<br />

—Tres serieux.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Elle n'en paraissait point surprise. C'etait une chose naturelle. Seulement, elle ne disait ni oui ni non, elle avait<br />

surement une idee qui la genait.<br />

—Faudrait pas dire non, a cause de la Cognette, reprit−il, parce que la Cognette...<br />

III 67

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