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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Mais toi aussi, bete! garde−le... Je le veux, tu ne vas pas faire ta mauvaise tete!<br />

Les deux soeurs, combattues, se defendaient et riaient. Deja, <strong>La</strong>mbourdieu avait allonge la main par−dessus la<br />

haie pour empocher les cent sous. Et il repartit, le cheval derriere lui demarra la longue voiture, la fanfare<br />

rauque de la trompette se perdit au detour du chemin.<br />

Tout de suite, Jean avait eu l'idee de pousser ses affaires aupres de Lise, en se declarant. Une aventure l'en<br />

empecha. L'ecurie etait sans doute mal fermee, soudain l'on apercut l'ane, Gedeon, au milieu du potager,<br />

tondant gaillardement un plant de carottes. Du reste, cet ane, un gros ane, vigoureux, de couleur rousse, la<br />

grande croix grise sur l'echine, etait un animal farceur, plein de malignite: il soulevait tres bien les loquets<br />

avec sa bouche, il entrait chercher du pain dans la cuisine; et, a la facon dont il remuait ses longues oreilles,<br />

quand on lui reprochait ses vices, on sentait qu'il comprenait. Des qu'il se vit decouvert, il prit un air<br />

indifferent et bonhomme; ensuite, menace de la voix, chasse du geste, il fila; mais, au lieu de retourner dans la<br />

cour, il trotta par les allees, jusqu'au fond du jardin. Alors, ce fut une vraie poursuite, et, lorsque Francoise<br />

l'eut enfin saisi, il se ramassa, rentra le cou et les jambes dans son corps, pour peser plus lourd et avancer<br />

moins vite. Rien n'y faisait, ni les coups de pied, ni les douceurs. Il fallut que Jean s'en melat, le bousculat par<br />

derriere de ses bras d'homme; car, depuis qu'il etait commande par deux femmes, Gedeon avait concu d'elles<br />

le plus complet mepris. Jules s'etait reveille au bruit et hurlait. L'occasion etait perdue, le jeune homme dut<br />

partir ce jour−la, sans avoir parle.<br />

Huit jours se passerent, une grande timidite avait envahi Jean, qui, a cette heure, n'osait plus. Ce n'etait pas<br />

que l'affaire lui semblat mauvaise: a la reflexion, il en avait, au contraire, mieux senti les avantages. D'un cote<br />

et de l'autre, on n'aurait qu'a y gagner. Si lui ne possedait rien, elle avait l'embarras de son mioche: cela<br />

egalisait les parts; et il ne mettait la aucun vilain calcul, il raisonnait autant pour son bonheur, a elle, que pour<br />

le sien. Puis, le mariage, en le forcant a quitter la ferme, le debarrasserait de Jacqueline, qu'il revoyait par<br />

lachete du plaisir. Donc, il etait bien resolu, et il attendait l'occasion de se declarer, cherchant les mots qu'il<br />

dirait, en garcon que meme le regiment avait laisse capon avec les femmes.<br />

Un jour, enfin, Jean, vers quatre heures, s'echappa de la ferme, resolu a parler. Cette heure etait celle ou<br />

Francoise menait ses vaches a la pature du soir, et il l'avait choisie pour etre seul avec Lise. Mais un<br />

contretemps le consterna d'abord: la Frimat, installee en voisine obligeante, aidait justement la jeune femme a<br />

couler la lessive, dans la cuisine. <strong>La</strong> veille, les deux soeurs avaient essange le linge. Depuis le matin, l'eau de<br />

cendre, que parfumaient des racines d'iris, bouillait dans un chaudron, accroche a la cremaillere, au−dessus<br />

d'un feu clair de peuplier. Et, les bras nus, la jupe retroussee, Lise, armee d'un pot de terre jaune, puisait de<br />

cette eau, arrosait le linge dont le cuvier etait rempli: au fond les draps, puis les torchons, les chemises, et<br />

par−dessus des draps encore. <strong>La</strong> Frimat ne servait donc pas a grand'chose; mais elle causait, en se contentant,<br />

toutes les cinq minutes, d'enlever et de vider dans le chaudron le seau, qui, sous le baquet, recevait l'egoutture<br />

continue de la lessive.<br />

Jean patienta, esperant qu'elle s'en irait. Elle ne partait pas, parlait de son pauvre homme, le paralytique, qui ne<br />

remuait plus qu'une main. C'etait une grande affliction. Jamais ils n'avaient ete riches; seulement, lorsque lui<br />

travaillait encore, il louait des terres qu'il faisait valoir; tandis que, maintenant, elle avait bien de la peine a<br />

cultiver toute seule l'arpent qui leur appartenait; et elle s'ereintait, ramassait le crottin des routes pour le fumer,<br />

n'ayant pas de bestiaux, soignait ses salades, ses haricots, ses pois, pied a pied, arrosait jusqu'a ses trois<br />

pruniers et ses deux abricotiers, finissait par tirer un profit considerable de cet arpent, si bien que, chaque<br />

samedi, elle s'en allait au marche de Cloyes, pliant sous la charge de deux paniers enormes, sans compter les<br />

gros legumes, qu'un voisin lui emportait dans sa carriole. Rarement elle en revenait sans deux ou trois pieces<br />

de cent sous, surtout a la saison des fruits. Mais sa continuelle doleance etait le manque de fumier: ni le<br />

crottin, ni les balayages des quelques lapins et des quelques poules qu'elle elevait ne lui donnaient assez. Elle<br />

en etait venue a se servir de tout ce que son vieux et elle faisaient, de cet engrais humain si meprise, qui<br />

souleve le degout, meme dans les campagnes. On l'avait su, on l'en plaisantait, on l'appelait la mere Caca, et<br />

III 66

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