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Émile Zola - La Terre

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avant d'avoir fait signer les papiers... Oui, oui, il sait que tout est fini.<br />

—Ah! et il ne dit rien?<br />

—Non, il ne dit rien.<br />

Lise, silencieusement, se courba, marcha un instant, arrachant les herbes, ne montrant plus d'elle que la<br />

rondeur enflee de son derriere; puis, elle tourna le cou, elle ajouta, la tete en bas:<br />

—Voulez−vous savoir, Caporal? eh bien! ca y est, je peux garder Jules pour compte.<br />

Jean qui, jusque−la, lui donnait des esperances, hocha le menton.<br />

—Ma foi! je crois que vous etes dans le vrai.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Et il jeta un regard sur Jules qu'il avait oublie. Le mioche, serre dans son maillot, dormait toujours, avec sa<br />

petite face immobile, noyee de lumiere. C'etait ca l'embetant, ce gamin! Autrement, pourquoi n'aurait−il pas<br />

epouse Lise, puisqu'elle se trouvait libre? Cette idee lui venait la, tout d'un coup, a la regarder au travail.<br />

Peut−etre bien qu'il l'aimait, que le plaisir de la voir l'attirait seul dans la maison. Il en restait surpris pourtant,<br />

ne l'ayant pas desiree, n'ayant meme jamais joue avec elle, comme il jouait avec Francoise, par exemple. Et,<br />

justement, en levant la tete, il apercut celle−ci, demeuree toute droite et furieuse au soleil, les yeux si luisants<br />

de passion, si droles, qu'il en fut egaye, dans le trouble de sa decouverte.<br />

Mais un bruit de trompette, un etrange turlututu d'appel se fit entendre; et Lise, quittant ses pois, s'ecria:<br />

—Tiens! <strong>La</strong>mbourdieu!... J'ai une capeline a lui commander.<br />

De l'autre cote de la haie, sur le chemin, apparut un petit homme court, trompettant et precedant une grande<br />

voiture longue, que trainait un cheval gris. C'etait <strong>La</strong>mbourdieu, un gros boutiquier de Cloyes, qui avait peu a<br />

peu joint a son commerce de nouveautes la bonneterie, la mercerie, la cordonnerie, meme la quincaillerie, tout<br />

un bazar qu'il promenait de village en village, dans un rayon de cinq ou six lieues. Les paysans finissaient par<br />

lui tout acheter, depuis leurs casseroles jusqu'a leurs habits de noce. Sa voiture s'ouvrait et se rabattait,<br />

developpant des files de tiroirs, un etalage de vrai magasin.<br />

Lorsque <strong>La</strong>mbourdieu eut recu la commande de la capeline, il ajouta:<br />

—Et, en attendant, vous ne voulez pas de beaux foulards?<br />

Il tirait d'un carton, il faisait claquer au soleil des foulards rouges a palmes d'or, eclatants.<br />

—Hein? trois francs, c'est pour rien!... Cent sous les deux!<br />

Lise et Francoise, qui les avaient pris par−dessus la haie d'aubepine, ou sechaient des couches de Jules, les<br />

maniaient, les convoitaient. Mais elles etaient raisonnables, elles n'en avaient pas besoin: a quoi bon<br />

depenser? Et elles les rendaient, lorsque Jean se decida tout d'un coup a vouloir epouser Lise, malgre le petit.<br />

Alors, pour brusquer les choses, il lui cria:<br />

—Non, non, gardez−le, je vous l'offre!... Ah! vous me feriez de la peine, c'est de bonne amitie, bien sur!<br />

Il n'avait rien dit a Francoise, et comme celle−ci tendait toujours au marchand son foulard, il la remarqua, il<br />

eut au coeur un elancement de chagrin, en croyant la voir palir, la bouche souffrante.<br />

III 65

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