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Émile Zola - La Terre

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—Pauvre pere, murmura Francoise, se serait−il fait du mauvais sang!... Vaut mieux qu'il ne voie pas ca.<br />

Et, comme sa soeur prenait la seconde lanterne:<br />

—Ou vas−tu?<br />

—Je songe aux pois et aux haricots... Je reviens tout de suite.<br />

Sous l'averse, Lise traversa la cour, passa dans le potager. Il n'y avait plus que Francoise pres du vieux. Encore<br />

se tenait−elle sur le seuil, tres emotionnee par le va−et−vient de la lanterne. Elle crut entendre des plaintes,<br />

des larmes. Son coeur se brisait.<br />

—Hein? quoi? cria−t−elle. Qu'est−ce qu'il y a?<br />

Aucune voix ne repondait, la lanterne allait et venait plus vite, comme affolee.<br />

—Les haricots sont rases, dis?... Et les pois, ont−ils du mal?... Mon Dieu! et les fruits, et les salades?<br />

Mais une exclamation de douleur qui lui arrivait distinctement la decida. Elle ramassa ses jupes, courut dans<br />

l'averse rejoindre sa soeur. Et le mort, abandonne, demeura dans la cuisine vide, tout raide sous son drap, entre<br />

les deux meches fumeuses et tristes. L'oeil gauche, obstinement ouvert, regardait les vieilles solives du<br />

plafond.<br />

Ah! quel ravage desolait ce coin de terre! quelle lamentation montait du desastre, entrevu aux lueurs<br />

vacillantes des lanternes! Lise et Francoise promenaient la leur, si trempee de pluie, que les vitres eclairaient a<br />

peine; et elles l'approchaient des planches, elles distinguaient confusement, dans le cercle etroit de lumiere, les<br />

haricots et les pois rases au pied, les salades tranchees, hachees, sans qu'on put songer seulement a en utiliser<br />

les feuilles. Mais les arbres surtout avaient souffert: les menues branches, les fruits en etaient coupes comme<br />

avec des couteaux; les troncs eux−memes, meurtris, perdaient leur seve par les trous de l'ecorce. Et plus loin,<br />

dans les vignes, c'etait pis, les lanternes pullulaient, sautaient, s'enrageaient, au milieu de gemissements et de<br />

jurons. Les ceps semblaient fauches, les grappes en fleur jonchaient le sol, avec des debris, de bois et de<br />

pampres; non seulement la recolte de l'annee etait perdue, mais les souches, depouillees, allaient vegeter et<br />

mourir. Personne ne sentait la pluie, un chien hurlait a la mort, des femmes eclataient en larmes, comme au<br />

bord d'une fosse. Macqueron et Lengaigne; malgre leur rivalite, s'eclairaient mutuellement, passaient de l'un<br />

chez l'autre, en poussant des nom de Dieu! a mesure que defilaient les ruines, cette vision courte et blafarde,<br />

reprise derriere eux par l'ombre. Bien qu'il n'eut plus de terres, le vieux Fouan voulait voir, se fachant. Peu a<br />

peu, tous s'emportaient: etait−ce possible de perdre, en un quart d'heure, le fruit d'un an de travail?<br />

Qu'avaient−ils fait pour etre punis de la sorte? Ni securite, ni justice, des fleaux sans raison, des caprices qui<br />

tuaient le monde. Brusquement, la Grande, furibonde, ramassa des cailloux, les lanca en l'air pour crever le<br />

ciel, qu'on ne distinguait pas. Et elle gueulait:<br />

—Sacre cochon, la−haut! Tu ne peux donc pas nous foutre la paix?<br />

Sur le matelas, dans la cuisine, Mouche, abandonne, regardait le plafond de son oeil fixe, lorsque deux<br />

voitures s'arreterent devant la porte. Jean ramenait enfin M. Finet, apres l'avoir attendu pres de trois heures,<br />

chez lui; et il revenait dans la carriole, tandis que le docteur avait pris son cabriolet.<br />

Ce dernier, grand et maigre, la face jaunie par des ambitions mortes, entra rudement. Au fond, il execrait cette<br />

clientele paysanne, qu'il accusait de sa mediocrite.<br />

—Quoi, personne?... Ca va donc mieux?<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

II 61

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