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Émile Zola - La Terre

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vapeur sur un pont de metal, roulant sans fin. Le vent soufflait en furie, les balles obliques sabraient tout,<br />

s'amassaient, couvraient le sol d'une couche blanche.<br />

—<strong>La</strong> grele, mon Dieu!... Ah! quel malheur!... Voyez donc! de vrais oeufs de poule!<br />

Elles n'osaient se hasarder dans la cour, pour en ramasser. <strong>La</strong> violence de l'ouragan augmentait encore, toutes<br />

les vitres de la ferme furent brisees; et la force acquise etait telle, qu'un grelon alla casser une cruche, pendant<br />

que d'autres roulaient jusqu'au matelas du mort.<br />

—Il n'en irait pas cinq a la livre, dit la Becu, qui les soupesait.<br />

Fanny et la Frimat eurent un geste desespere.<br />

—Tout est fichu, un massacre!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

C'etait fini. On entendit le galop du desastre s'eloigner rapidement, et un silence de sepulcre tomba. Le ciel,<br />

derriere la nuee, etait devenu d'un noir d'encre. Une pluie fine serree, ruisselait sans bruit. On ne distinguait,<br />

sur le sol, que la couche epaisse des grelons, une nappe blanchissante, qui avait comme une lumiere propre, la<br />

paleur de millions de veilleuses, a l'infini.<br />

Nenesse, s'etant lance au dehors, revint avec un veritable glacon, de la grosseur de son poing, irregulier,<br />

dentele; et la Frimat, qui ne tenait plus en place, ne put resister davantage au besoin d'aller voir.<br />

—Je vas chercher ma lanterne, faut que je sache le degat.<br />

Fanny se maitrisa quelques minutes encore. Elle continuait ses doleances. Ah! quel travail! ca en faisait du<br />

ravage, dans les legumes et dans les arbres a fruits! Les bles, les avoines, les seigles, n'etaient pas assez hauts,<br />

pour avoir beaucoup souffert. Mais les vignes, ah! les vignes! Et, sur la porte, elle fouillait des yeux la nuit<br />

epaisse, impenetrable, elle tremblait d'une fievre d'incertitude, cherchant a estimer le mal, l'exagerant, croyant<br />

voir la campagne mitraillee, perdant le sang par ses blessures.<br />

—Hein? mes petites, finit−elle par dire, je vous emprunte une lanterne, je cours jusqu'a nos vignes.<br />

Elle alluma l'une des deux lanternes, elle disparut avec Nenesse.<br />

<strong>La</strong> Becu, qui n'avait pas de terre, au fond, s'en moquait. Elle poussait des soupirs, implorait le ciel, par une<br />

habitude de mollesse geignarde. <strong>La</strong> curiosite, pourtant, la ramenait sans cesse vers la porte, et un vif interet l'y<br />

planta toute droite, lorsqu'elle remarqua que le village s'etoilait de points lumineux. Par une echappee de la<br />

cour, entre l'etable et un hangar, l'oeil plongeait sur Rognes entier. Sans doute, le coup de grele avait reveille<br />

les paysans, chacun etait pris de la meme impatience d'aller voir son champ, trop anxieux pour attendre le<br />

jour. Aussi les lanternes sortaient−elles une a une, se multipliaient, couraient et dansaient. Et la Becu,<br />

connaissant la place des maisons, arrivait a mettre un nom sur chaque lanterne.<br />

—Tiens! ca s'allume chez la Grande, et voila que ca sort de chez les Fouan, et la−bas c'est Macqueron, et a<br />

cote c'est Lengaigne... Bon Dieu! le pauvre monde, ca fend le coeur... Ah! tant pis, j'y vais!<br />

Lise et Francoise demeurerent seules, devant le corps de leur pere. Le ruissellement de la pluie continuait, de<br />

petits souffles mouilles rasaient le sol, faisaient couler les chandelles. Il aurait fallu fermer la porte, mais ni<br />

l'une ni l'autre n'y pensaient, prises elles aussi et secouees par le drame du dehors, malgre le deuil de la<br />

maison. Ca ne suffisait donc, pas, d'avoir la mort chez soi? Le bon Dieu cassait tout, on ne savait seulement<br />

point s'il vous restait un morceau de pain a manger.<br />

II 60

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