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Émile Zola - La Terre

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Lise et Francoise, hebetees maintenant, ecoutaient, ne se decidaient a rien, l'une bercant Jules, son petit, l'autre<br />

les mains embarrassees d'une tasse pleine d'eau, que le pere n'avait pas voulu boire. Et Fanny, voyant ca,<br />

bouscula Nenesse, absorbe devant la grimace du mourant.<br />

—Tu vas courir chez nous et tu diras qu'on te donne la petite bouteille d'eau−de−vie camphree, qui est a<br />

gauche, dans l'armoire... Tu entends? dans l'armoire, a gauche... Et passe chez grand−pere Fouan, passe chez<br />

ta tante, la Grande, dis−leur que l'oncle Mouche est tres mal... Cours, cours vite!<br />

Quand le gamin eut disparu d'un bond, les femmes continuerent de disserter sur le cas. <strong>La</strong> Becu connaissait un<br />

monsieur qu'on avait sauve, en lui chatouillant la plante des pieds pendant trois heures. <strong>La</strong> Frimat, s'etant<br />

souvenue qu'il lui restait du tilleul, sur les deux sous achetes l'autre hiver pour son homme, alla le chercher; et<br />

elle revenait avec le petit sac, Lise allumait du feu, apres avoir passe son enfant a Francoise, lorsque Nenesse<br />

reparut.<br />

—Grand−pere Fouan etait couche... <strong>La</strong> Grande a dit comme ca que, si l'oncle Mouche n'avait pas tant bu, il<br />

n'aurait pas si mal au coeur...<br />

Mais Fanny examinait la bouteille qu'il lui remettait, et elle s'ecria:<br />

—Imbecile, je t'avais dit a gauche!... Tu m'apportes l'eau de Cologne.<br />

—C'est bon aussi, repeta la Becu.<br />

On fit prendre de force au vieux une tasse de tilleul, en introduisant la cuiller entre ses dents serrees. Puis, on<br />

lui frictionna la tete avec l'eau de Cologne. Et il n'allait pas mieux, c'etait desesperant. Sa face avait encore<br />

noirci, on fut oblige de le remonter sur la chaise, car il s'effondrait, il menacait de s'aplatir par terre.<br />

—Oh! murmura Nenesse, retourne sur la porte, je ne sais pas ce qu'il va pleuvoir... Le ciel est d'une drole de<br />

couleur.<br />

—Oui, dit Jean, j'ai vu grandir un vilain nuage.<br />

Et, comme ramene a sa premiere idee:<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—N'empeche, j'irai bien encore chercher le medecin, si l'on veut.<br />

Lise et Francoise se regardaient, anxieuses. Enfin, la seconde se decida, avec la generosite de son jeune age.<br />

—Oui, oui, Caporal, allez a Cloyes chercher M. Finet... Il ne sera pas dit que nous n'aurons pas fait ce que<br />

nous devons faire.<br />

Le cheval, au milieu de la bousculade, n'avait pas meme ete detele, et Jean n'eut qu'a sauter dans la carriole.<br />

On entendit le bruit de ferraille, la fuite cahotee des roues. <strong>La</strong> Frimat, alors, parla du cure; mais les autres, d'un<br />

geste, dirent qu'on se donnait deja assez de mal. Et Nenesse ayant propose de faire a pied les trois kilometres<br />

de Bazoches−le−Doyen, sa mere se facha: bien sur qu'elle ne le laisserait pas galoper par une nuit si<br />

menacante, sous cet affreux ciel couleur de rouille. D'ailleurs, puisque le vieux n'entendait ni ne repondait,<br />

autant aurait−il valu deranger le cure pour une borne.<br />

Dix heures sonnerent au coucou de bois peint. Ce fut une surprise: dire qu'on etait la depuis plus de deux<br />

heures, sans avancer en besogne! Et pas une ne parlait de lacher pied, retenue par le spectacle, voulant voir<br />

jusqu'au bout. Un pain de dix livres etait sur la huche, avec un couteau. D'abord, les filles, dechirees de faim<br />

II 58

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