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Émile Zola - La Terre

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II<br />

A quelques jours de la, un soir, Jean revenait a pied de Cloyes, lorsque, deux kilometres avant Rognes, l'allure<br />

d'une carriole de paysan qui rentrait devant lui, l'etonna. Elle semblait vide, personne n'etait plus sur le banc,<br />

et le cheval, abandonne, retournait a son ecurie d'une allure flaneuse, en bete qui connaissait son chemin.<br />

Aussi le jeune homme l'eut−il vite rattrape. Il l'arreta, se haussa pour regarder dans la voiture: un homme etait<br />

au fond, un vieillard de soixante ans, gros, court, tombe a la renverse, et la face si rouge, qu'elle paraissait<br />

noire.<br />

<strong>La</strong> surprise de Jean fut telle, qu'il se mit a parler tout haut.<br />

—Eh! l'homme!... Est−ce qu'il dort? est−ce qu'il a bu?... Tiens! c'est le vieux Mouche, le pere aux deux de<br />

la−bas!... Je crois, nom de Dieu! qu'il est claque! Ah! bien! en voila, une affaire!<br />

Mais, foudroye par une attaque d'apoplexie, Mouche respirait encore, d'un petit souffle penible. Jean, alors,<br />

apres l'avoir allonge, la tete haute, s'assit sur le banc et fouetta le cheval, ramenant le moribond au grand trot,<br />

de peur qu'il ne lui passat entre les mains.<br />

Quand il deboucha sur la place de l'Eglise, justement il apercut Francoise, debout devant sa porte. <strong>La</strong> vue de<br />

ce garcon dans leur voiture, conduisant leur cheval, la stupefiait.<br />

—Quoi donc? demanda−t−elle.<br />

—C'est ton pere qui ne va pas bien.<br />

—Ou ca?<br />

—<strong>La</strong>, regarde?<br />

Elle monta sur la roue, regarda. Un instant, elle resta stupide, sans avoir l'air de comprendre, devant ce<br />

masque violatre dont une moitie s'etait convulsee, comme tiree violemment de bas en haut. <strong>La</strong> nuit tombait,<br />

un grand nuage fauve qui jaunissait le ciel, eclairait le mourant d'un reflet d'incendie.<br />

Puis, tout d'un coup, elle eclata en sanglots, elle se sauva, elle disparut, pour prevenir sa soeur.<br />

—Lise! Lise!... Ah! mon Dieu!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Reste seul, Jean hesita. On ne pouvait pourtant pas laisser le vieux au fond de la carriole. Le sol de la maison<br />

se creusait de trois marches, du cote de la place; et une descente dans ce trou sombre lui semblait mal<br />

commode. Ensuite, il s'avisa que, du cote de la route, a gauche, une autre porte ouvrait sur la cour, de<br />

plain−pied. Cette cour, assez vaste, etait close d'une haie vive; l'eau rousse d'une mare en occupait les deux<br />

tiers; et un demi−arpent de potager et de fruitier la terminait. Alors, il lacha le cheval, qui, de lui−meme,<br />

rentra et s'arreta devant son ecurie, pres de l'etable, ou etaient les deux vaches.<br />

Mais, au milieu de cris et de larmes, Francoise et Lise accouraient. Cette derniere, accouchee depuis quatre<br />

mois, surprise pendant qu'elle faisait teter le petit, l'avait garde au bras, dans son effarement; et il hurlait, lui<br />

aussi. Francoise remonta sur une roue, Lise grimpa sur l'autre, leurs lamentations devinrent dechirantes; tandis<br />

que le pere Mouche, au fond, soufflait toujours de son sifflement penible.<br />

—Papa, reponds, dis?... Qu'est−ce que t'as, dis donc? qu'est−ce que t'as, mon Dieu!... C'est donc dans la tete,<br />

que tu ne peux seulement rien dire?... Papa, papa, dis, reponds!<br />

II 56

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