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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

crottin, le jetait hors de lui. Elle l'aurait certainement renvoye, si elle s'en etait senti la puissance; et cela le<br />

rendait prudent, il voulait garder sa place, il evitait tout conflit, bien qu'il se crut certain de l'appui du maitre.<br />

<strong>La</strong> bergerie, au fond de la cour, occupait tout le batiment, une galerie de quatre−vingts metres, ou les huit<br />

cents moutons de la ferme n'etaient separes que par des claies: ici, les meres, en divers groupes; la, les<br />

agneaux; plus loin, les beliers. A deux mois, on chatrait les males, qu'on elevait pour la vente; tandis qu'on<br />

gardait les femelles, afin de renouveler le troupeau des meres, dont on vendait chaque annee les plus vieilles;<br />

et les beliers couvraient les jeunes, a des epoques fixes, des dishleys croises de merinos, superbe avec leur air<br />

stupide et doux, leur tete lourde au grand nez arrondi d'homme a passions. Quand on entrait dans la bergerie,<br />

une odeur forte suffoquait, l'exhalaison ammoniacale de la litiere, de l'ancienne paille sur laquelle on remettait<br />

de la paille fraiche pendant trois mois. Le long des murs, des cremailleres permettaient de hausser les rateliers,<br />

a mesure que la couche de fumier montait. Il y avait de l'air pourtant, de larges fenetres, et le plancher du<br />

fenil, au−dessus, etait fait de madriers mobiles, qu'on enlevait en partie, lorsque diminuait la provision des<br />

fourrages. On disait, du reste, que cette chaleur vivante, cette couche en fermentation, molle et chaude, etait<br />

necessaire a la belle venue des moutons.<br />

Hourdequin, comme il poussait une des portes, apercut Jacqueline qui s'echappait par une autre. Elle aussi<br />

avait songe a Soulas, inquiete, certaine d'avoir ete guettee, avec Jean; mais le vieux etait reste impassible, sans<br />

paraitre comprendre pourquoi elle se faisait aimable, contre sa coutume. Et la vue de la jeune femme, sortant<br />

de la bergerie, ou elle n'allait jamais, enfievra l'incertitude du fermier.<br />

—Eh bien! pere Soulas, demanda−t−il, rien de nouveau, ce matin?<br />

Le berger, tres grand, tres maigre, avec un visage long, coupe de plis, comme taille a la serpe dans un noeud<br />

de chene, repondit lentement:<br />

—Non, monsieur Hourdequin, rien du tout, sauf que les tondeurs arrivent et vont tantot se mettre a la besogne.<br />

Le maitre causa un instant, pour n'avoir pas l'air de l'interroger. Les moutons, qu'on nourrissait la, depuis les<br />

premieres gelees de la Toussaint, allaient bientot sortir, vers le milieu de mai, des qu'on pourrait les conduire<br />

dans les trefles. Les vaches, elles, n'etaient guere menees en pature qu'apres la moisson. Cette Beauce si seche,<br />

depourvue d'herbages naturels, donnait de bonne viande cependant; et c'etait routine et paresse, si l'elevage du<br />

boeuf s'y trouvait inconnu. Meme chaque ferme n'engraissait que cinq ou six porcs, pour sa consommation.<br />

De sa main brulante, Hourdequin flattait les brebis qui etaient accourues, la tete levee, avec leurs yeux doux et<br />

clairs; tandis que le flot des agneaux, enfermes plus loin, se pressait en belant contre les claies.<br />

—Et alors, pere Soulas, vous n'avez rien vu ce matin? redemanda−t−il en le regardant droit dans les yeux.<br />

Le vieux avait vu, mais a quoi bon parler? Sa defunte, la garce et la soularde, lui avait appris le vice des<br />

femmes et la betise des hommes. Peut−etre bien que la Cognette, meme vendue, resterait la plus forte, et alors<br />

ce serait sur lui qu'on tomberait, pour se debarrasser d'un temoin genant.<br />

—Rien vu, rien vu du tout! repeta−t−il les yeux ternes, la face immobile.<br />

Lorsque Hourdequin retraversa la cour, il remarqua que Jacqueline y etait demeuree, nerveuse, l'oreille<br />

tendue, avec la crainte de ce qui se disait dans la bergerie. Elle affectait de s'occuper de ses volailles, les six<br />

cents betes, poules, canards, pigeons, qui voletaient, cancanaient, grattaient la fosse a fumier, au milieu d'un<br />

continuel vacarme; et meme, le petit porcher ayant renverse un seau d'eau blanche qu'il portait aux cochons,<br />

elle se detendit un peu les nerfs en le giflant. Mais un coup d'oeil jete sur le fermier la rassura: il ne savait rien,<br />

le vieux s'etait mordu la langue. Son insolence en fut accrue.<br />

DEUXIEME PARTIE 53

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