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qui achevait de la crotter, salie a plaisir. Pourtant, apres la mort de la fermiere, elle parut se decrasser un peu.<br />
Tous les valets la culbutaient dans la paille; pas un homme ne venait a la ferme, sans lui passer sur le ventre;<br />
et, un jour qu'elle l'accompagnait a la cave, le maitre, dedaigneux jusque−la, voulut aussi gouter de ce laideron<br />
mal tenu; mais elle se defendit furieusement, l'egratigna, le mordit, si bien qu'il fut oblige de la lacher. Des<br />
lors, sa fortune etait faite. Elle resista pendant six mois, se donna ensuite par petits coins de peau nue. De la<br />
cour, elle etait sautee a la cuisine, servante en titre; puis, elle engagea une gamine pour l'aider; puis, tout a fait<br />
dame, elle eut une bonne qui la servit. Maintenant, de l'ancien petit torchon, s'etait degagee une fille tres<br />
brune, l'air fin et joli, qui avait la gorge dure, les membres elastiques et forts des fausses maigres. Elle se<br />
montrait d'une coquetterie depensiere, se trempait de parfums, tout en gardant un fond de malproprete. Les<br />
gens de Rognes, les cultivateurs des environs, n'en demeuraient pas moins etonnes de l'aventure: etait−ce Dieu<br />
possible qu'un richard se fut entiche d'une mauviette pareille, pas belle, pas grasse, de la Cognette enfin, la<br />
fille a Cognet, a ce soulard qu'on voyait depuis vingt ans casser les cailloux sur les routes! Ah! un fier<br />
beau−pere! une fameuse catin! Et les paysans ne comprenaient meme pas que cette catin etait leur vengeance,<br />
la revanche du village contre la ferme, du miserable ouvrier de la glebe contre le bourgeois enrichi, devenu<br />
gros proprietaire. Hourdequin, dans la crise de ses cinquante−cinq ans, s'acoquinait, la chair prise, ayant le<br />
besoin physique de Jacqueline, comme on a le besoin du pain et de l'eau. Quand elle voulait etre bien gentille,<br />
elle l'enlacait d'une caresse de chatte, elle le gorgeait d'un devergondage sans scrupule, sans degout, tel que les<br />
filles ne l'osent pas; et, pour une de ces heures, il s'humiliait, il la suppliait de rester, apres des querelles, des<br />
revoltes terribles de volonte, dans lesquelles il menacait de la flanquer dehors, a grands coups de botte.<br />
<strong>La</strong> veille encore, il l'avait giflee, a la suite d'une scene qu'elle lui faisait, pour coucher dans le lit ou etait morte<br />
sa femme; et, toute la nuit, elle s'etait refusee, lui allongeant des tapes, des qu'il s'approchait; car, si elle<br />
continuait a se donner le regal des garcons de la ferme, elle le rationnait, lui, le fouettait d'abstinences, afin<br />
d'augmenter son pouvoir. Aussi, ce matin−la, dans cette chambre moite, dans ce lit defait ou il la respirait<br />
encore, fut−il repris de colere et de desir. Depuis longtemps, il flairait ses continuelles trahisons. Il se leva<br />
d'un saut, il dit a voix haute:<br />
—Ah! bougresse, si je te pince!<br />
Vivement, il s'habilla et descendit.<br />
<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />
Jacqueline avait file a travers la maison muette, eclairee a peine par la pointe de l'aube. Comme elle traversait<br />
la cour, elle eut un mouvement de recul, en apercevant le berger, le vieux Soulas, deja debout. Mais son envie<br />
la tenait si fort, qu'elle passa outre. Tant pis! Elle evita l'ecurie de quinze chevaux, ou couchaient quatre des<br />
charretiers de la ferme, alla au fond, dans la soupente qui servait de lit a Jean: de la paille, une couverture, pas<br />
meme de draps. Et, l'embrassant tout endormi, lui fermant la bouche d'un baiser, frissonnante, essoufflee, a<br />
voix tres basse:<br />
—C'est moi, grosse bete. Aie pas peur... Vite, vite, depechons!<br />
Mais il s'effraya, il ne voulut jamais, a cette place, dans son lit, crainte d'une surprise. L'echelle du fenil etait<br />
pres de la, ils grimperent, laisserent la trappe ouverte, se culbuterent au milieu du foin.<br />
—Oh! grosse bete, grosse bete! repetait Jacqueline pamee, avec son roucoulement de gorge, qui semblait lui<br />
monter des flancs.<br />
Il y avait pres de deux ans que Jean Macquart se trouvait a la ferme. En sortant du service, il etait tombe a<br />
Bazoches−le−Doyen, avec un camarade, menuisier comme lui, et il avait repris du travail chez le pere de ce<br />
dernier, petit entrepreneur de village, qui occupait deux ou trois ouvriers; mais il ne se sentait plus le coeur a<br />
la besogne, les sept annees de service l'avaient rouille, devoye, degoute de la scie et du rabot, a ce point qu'il<br />
semblait un autre homme. Jadis, a Plassans, il tapait dur sur le bois, sans facilite pour apprendre, sachant tout<br />
DEUXIEME PARTIE 50