<strong>La</strong> <strong>Terre</strong> Jean, qui etait methodique, attendait, pour achever sa lecture. Le silence etant retombe, il lut doucement: —“Heureux laboureur, ne quitte pas le village pour la ville, ou il te faudrait tout acheter, le lait, la viande et les legumes, ou tu depenserais toujours au dela du necessaire, a cause des occasions. N'as−tu pas au village de l'air et du soleil, un travail sain, des plaisirs honnetes? <strong>La</strong> vie des champs n'a point son egale, tu possedes le vrai bonheur, loin des lambris dores; et la preuve, c'est que les ouvriers des villes viennent se regaler a la campagne, de meme que les bourgeois n'ont qu'un reve, se retirer pres de toi, cueillir des fleurs, manger des fruits aux arbres, faire des cabrioles sur le gazon. Dis−toi bien, Jacques Bonhomme, que l'argent est une chimere. Si tu as la paix du coeur, ta fortune est faite.” Sa voix s'etait alteree, il dut contenir une emotion de gros garcon tendre, grandi dans les villes, et dont les idees de felicite champetre remuaient l'ame. Les autres resterent mornes, les femmes pliees sur leurs aiguilles, les hommes tasses, la face durcie. Est−ce que le livre se moquait d'eux? L'argent seul etait bon, et ils crevaient de misere. Puis, comme ce silence, lourd de souffrance et de rancune, le genait, le jeune homme se permit une reflexion sage. —Tout de meme, ca irait mieux peut−etre avec l'instruction... Si l'on etait si malheureux autrefois, c'etait qu'on ne savait pas. Aujourd'hui, on sait un peu, et ca va moins mal assurement. Alors, il faudrait savoir tout a fait, avoir des ecoles pour apprendre a cultiver... Mais Fouan l'interrompit violemment, en vieillard obstine dans la routine. —Fichez−nous donc la paix, avec votre science! Plus on en sait, moins ca marche, puisque je vous dis qu'il y a cinquante ans la terre rapportait davantage! Ca la fache qu'on la tourmente, elle ne donne jamais que ce qu'elle veut, la matine! Et voyez si M. Hourdequin n'a pas mange de l'argent gros comme lui, a se fourrer dans les inventions nouvelles... Non, non, c'est foutu, le paysan reste le paysan! Dix heures sonnaient, et a ce mot qui concluait avec la rudesse d'un coup de hache, Rose alla chercher un pot de chataignes, qu'elle avait laisse dans les cendres chaudes de la cuisine, le regal oblige du soir de la Toussaint. Meme elle rapporta deux litres de vin blanc, pour que la fete fut complete. Des lors, on oublia les histoires, la gaiete monta, les ongles et les dents travaillerent a tirer de leurs cosses les chataignes bouillies, fumantes encore. <strong>La</strong> Grande avait englouti tout de suite sa part dans sa poche, parce qu'elle mangeait moins vite. Becu et Jesus−Christ les avalaient sans les eplucher, en se les lancant de loin au fond de la bouche, tandis que Palmyre, enhardie, mettait a les nettoyer un soin extreme, puis en gavait Hilarion, comme une volaille. Quant aux enfants, ils “faisaient du boudin”. <strong>La</strong> Trouille piquait la chataigne avec une dent, puis la pressait pour en tirer un jet mince, que Delphin et Nenesse lechaient ensuite. C'etait tres bon. Lise et Francoise se deciderent a en faire aussi. On moucha la chandelle une derniere fois, on trinqua a la bonne amitie de tous les assistants. <strong>La</strong> chaleur avait augmente, une vapeur rousse montait du purin de la litiere, le grillon chantait plus fort, dans les grandes ombres mouvantes des poutres; et, pour que les vaches fussent du regal, on leur donnait les cosses, qu'elles broyaient d'un gros bruit regulier et doux. A la demie de dix heures, le depart commenca. D'abord, ce fut Fanny qui emmena Nenesse. Puis, Jesus−Christ et Becu sortirent en se querellant, repris d'ivresse dans le froid du dehors; et l'on entendit la Trouille et Delphin, chacun soutenant son pere, le poussant, le remettant dans le droit chemin, comme une bete retive qui ne connait plus l'ecurie. A chaque battement de la porte, un souffle glacial venait de la route, blanche de neige. Mais la Grande ne se pressait point, nouait son mouchoir autour de son cou, enfilait ses mitaines. Elle n'eut pas un regard pour Palmyre et Hilarion, qui s'echapperent peureusement, secoues d'un frisson, sous leurs guenilles. Enfin, elle s'en alla, elle rentra chez elle, a cote, avec le coup sourd du battant violemment referme. Et il ne resta que Francoise et Lise. V 46
—Dites donc, Caporal, demanda Fouan, vous les accompagnerez en retournant a la ferme, n'est−ce pas? C'est votre chemin. Jean accepta d'un signe, pendant que les deux filles se couvraient la tete de leur fichu. Buteau s'etait leve, et il marchait d'un bout a l'autre de l'etable, la face dure, d'un pas inquiet et songeur. Il n'avait plus parle depuis la lecture, comme possede par ce que le livre disait, ces histoires de la terre si rudement conquise. Pourquoi ne pas l'avoir toute? un partage lui devenait insupportable. Et c'etaient d'autres choses encore, des choses confuses, qui se battaient dans son crane epais, de la colere, de l'orgueil, l'entetement de ne pas revenir sur ce qu'il avait dit, le desir exaspere du male voulant et ne voulant pas, dans la crainte d'etre dupe. Brusquement, il se decida. —Je monte me coucher, adieu! —Comment ca, adieu? —Oui, je repartirai pour la Chamade avant le jour... Adieu, si je ne vous revois pas. Le pere et la mere, cote a cote, s'etaient plantes devant lui. —Eh bien! et ta part, demanda Fouan, l'acceptes−tu? Buteau marcha jusqu'a la porte; puis, se retournant: —Non! Tout le corps du vieux paysan trembla. Il se grandit, il eut un dernier eclat de l'antique autorite. —C'est bon, tu es un mauvais fils... Je vas donner leurs parts a ton frere et a ta soeur, et je leur louerai la tienne, et quand je mourrai, je m'arrangerai pour qu'ils la gardent... Tu n'auras rien, va−t'en! Buteau ne broncha pas, dans son attitude raidie. Alors, Rose, a son tour, essaya de l'attendrir. —Mais on t'aime autant que les autres, imbecile!... Tu boudes contre ton ventre. Accepte! —Non! Et il disparut, il monta se coucher. Dehors, Lise et Francoise, encore saisies de cette scene, firent quelques pas en silence. Elles s'etaient reprises a la taille, elles se confondaient, toutes noires, dans le bleuissement nocturne de la neige. Mais Jean qui les suivait, egalement silencieux, les entendit bientot pleurer. Il voulut leur rendre courage. —Voyons, il reflechira, il dira oui demain. —Ah! vous ne le connaissez pas, s'ecria Lise. Il se ferait plutot hacher que de ceder... Non, non, c'est fini! Puis d'une voix desesperee: —Qu'est−ce que je vais donc en faire de son enfant? <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> V 47
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Cependant, Buteau s'etonnait d'avoi
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Toujours courant, Francoise etait a
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Le trou beant s'arrondit encore, a
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terre; ca le tenait si fort, qu'il
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Coelina, qui servait, eut un geste
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Hourdequin eclata d'un gros rire a
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elle n'eut plus qu'une envie, quitt
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marchait, ca commencait a etre amus
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son elan, tapant de la tete ainsi q
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alle jusqu'au bout, sans omettre un
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Alors Buteau se rua, pesa de tout l
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Lorsque, vers neuf heures, Jean eut
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La Terre cendre des papiers: du mon
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Les Buteau, lorsqu'ils apercurent J
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souffrir dans cette vie. Lorsque De
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qui sort comme elle est entree, ave