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Émile Zola - La Terre

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—Je ne veux pas partir, je veux rester chez nous.<br />

Le garde champetre levait la main, lorsque Buteau l'arreta.<br />

—<strong>La</strong>issez−le donc tranquille, cet enfant!... Il a raison. Est−ce qu'on a besoin de lui? Il y en a d'autres... Avec<br />

ca qu'on vient au monde pour lacher son coin, pour aller se faire casser la gueule, a cause d'un tas d'histoires<br />

dont on se fiche. Moi, je n'ai pas quitte le pays, je ne m'en porte pas plus mal.<br />

En effet, il avait tire un bon numero, il etait un vrai terrien, attache au sol, ne connaissant qu'Orleans et<br />

Chartres, n'ayant rien vu, au dela du plat horizon de la Beauce. Et il semblait en tirer un orgueil, d'avoir ainsi<br />

pousse dans sa terre, avec l'entetement borne et vivace d'un arbre. Il s'etait mis debout, les femmes le<br />

regardaient.<br />

—Quand ils rentrent du service, ils sont tous si maigres! osa murmurer Lise.<br />

—Et vous, Caporal, demanda la vieille Rose, vous etes alle loin?<br />

Jean fumait sans une parole, en garcon reflechi qui preferait ecouter. Il ota lentement sa pipe.<br />

—Oui, assez loin comme ca... Pas en Crimee, pourtant. Je devais partir quand on a pris Sebastopol... Mais,<br />

plus tard, en Italie...<br />

—Et qu'est−ce que c'est, l'Italie?<br />

<strong>La</strong> question parut le surprendre, il hesita, fouilla ses souvenirs.<br />

—Mais l'Italie, c'est comme chez nous. Il y a de la culture, il y a des bois avec des rivieres... Partout, c'est la<br />

meme chose.<br />

—Alors, vous vous etes battu?<br />

—Ah! oui, battu pour sur!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Il s'etait remis a sucer sa pipe, il ne se pressait pas; et Francoise, qui avait leve les yeux, restait la bouche<br />

entr'ouverte, a attendre une histoire. Toutes, d'ailleurs, s'interessaient, la Grande elle−meme allongea un<br />

nouveau coup de canne sur la table, pour faire taire Hilarion qui geignait, la Trouille ayant invente le petit jeu<br />

de lui enfoncer une epingle dans le bras, sournoisement.<br />

A Solferino, ca chauffait dur, et il pleuvait cependant, oh! il pleuvait... Je n'avais pas un fil de sec, l'eau<br />

m'entrait par le dos et coulait dans mes souliers... Ca, on peut le dire sans mensonge, nous avons ete mouilles!<br />

On attendait toujours, mais il n'ajouta rien, il n'avait vu que ca de la bataille. Au bout d'une minute de silence,<br />

il reprit de son air raisonnable:<br />

—Mon Dieu! la guerre, ce n'est pas si difficile qu'on le croit... On tombe au sort, n'est−ce pas? on est bien<br />

oblige de faire son devoir. Moi, j'ai lache le service, parce que j'aime mieux autre chose. Seulement, ca peut<br />

encore avoir du bon, pour celui que son metier degoute et qui rage, quand l'ennemi vient nous emmerder en<br />

France.<br />

—Une sale chose, tout de meme! conclut le pere Fouan. Chacun devrait defendre son chez soi, et pas plus.<br />

V 41

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