vaches, qui, couchees, ruminaient. <strong>La</strong> Grande arriva la premiere, avec un tricot. Elle n'apportait jamais de chandelle, abusant de son grand age, si redoutee, que son frere n'osait la rappeler aux usages. Tout de suite, elle prit la bonne place, attira le chandelier, le garda pour elle seule, a cause de ses mauvais yeux. Elle avait pose contre sa chaise la canne qui ne la quittait jamais. Des parcelles scintillantes de neige fondaient sur les poils rudes qui herissaient sa tete d'oiseau decharne. —Ca tombe? demanda Rose. —Ca tombe, repondit−elle de sa voix breve. Et elle se mit a son tricot, elle serra ses levres minces, avare de paroles, apres avoir jete sur Jean et sur Buteau un regard percant. Les autres, derriere elle, parurent: d'abord, Fanny qui s'etait fait accompagner par son fils Nenesse, Delhomme ne venant jamais aux veillees; et, presque aussitot, Lise et Francoise, qui secouerent en riant la neige dont elles etaient couvertes. Mais la vue de Buteau fit rougir legerement la premiere. Lui, tranquillement, la regardait. —Ca va bien, Lise, depuis qu'on ne s'est vu? —Pas mal, merci. —Allons, tant mieux! <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> Palmyre, pendant ce temps, s'etait furtivement glissee par la porte entr'ouverte; et elle s'amincissait, elle se placait le plus loin possible de sa grand'mere, la terrible Grande, lorsqu'un tapage, sur la route, la fit se redresser. C'etaient des begaiements de fureur, des larmes, des rires et des huees. —Ah! les gredins d'enfants, ils sont encore apres lui! cria−t−elle. D'un bond, elle avait rouvert la porte; et brusquement hardie, avec des grondements de lionne, elle delivra son frere Hilarion des farces de la Trouille, de Delphin de Nenesse. Ce dernier venait de rejoindre les deux autres qui hurlaient aux trousses de l'infirme. Essouffle, ahuri, Hilarion entra en se dehanchant sur ses jambes torses. Son bec−de−lievre le faisait saliver, il begayait sans pouvoir expliquer les choses, l'air caduc pour ses vingt−quatre ans, d'une hideur bestiale de cretin. Il etait devenu tres mechant, enrage de ce qu'il ne pouvait attraper a la course et calotter les gamins qui le poursuivaient. Cette fois encore, c'etait lui qui avait recu une volee de boules de neige. —Oh! est−il menteur! dit la Trouille, d'un grand air innocent. Il m'a mordue au pouce, tenez! Du coup, Hilarion, les mots en travers de la gorge, faillit s'etrangler; tandis que Palmyre le calmait, lui essuyait le visage avec son mouchoir, en l'appelant son mignon. —En voila assez, hein! finit par dire Fouan. Toi, tu devrais bien l'empecher de te suivre. Assois−le au moins, qu'il se tienne tranquille!... Et vous, marmaille, silence! On va vous prendre par les oreilles et vous reconduire chez vos parents. Mais, comme l'infirme continuait a begayer, voulant avoir raison, la Grande, dont les yeux flamberent, saisit sa canne et en assena un coup si rude sur la table, que tous le monde sauta. Palmyre et Hilarion, saisis de V 38
terreur, s'affaisserent, ne bougerent plus. <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> Et la veillee commenca. Les femmes, autour de l'unique chandelle, tricotaient, filaient, travaillaient a des ouvrages, qu'elles ne regardaient meme pas. Les hommes, en arriere, fumaient lentement avec de rares paroles, pendant que, dans un coin, les enfants se poussaient et se pincaient en etouffant leurs rires. Parfois, on disait des contes: celui du Cochon noir, qui gardait un tresor, une clef rouge a la gueule; ou encore celui de la bete d'Orleans, qui avait la face d'un homme, des ailes de chauve−souris, des cheveux jusqu'a terre, deux cornes, deux queues, l'une pour prendre, l'autre pour tuer; et ce monstre avait mange un voyageur rouennais, dont il n'etait reste que le chapeau et les bottes. D'autres fois, on entamait les histoires sans fin sur les loups, les loups voraces, qui, pendant des siecles, ont devaste la Beauce. Anciennement, lorsque la Beauce, aujourd'hui, nue et pelee, gardait de ses forets premieres quelques bouquets d'arbres, des bandes innombrables de loups, poussees par la faim, sortaient l'hiver pour se jeter sur les troupeaux. Des femmes, des enfants etaient devores. Et les vieux du pays se rappelaient que, pendant les grandes neiges, les loups venaient dans les villes: a Cloyes, on les entendait hurler sur la place Saint−Georges; a Rognes, ils soufflaient sous les portes mal closes des etables et des bergeries. Puis, les memes anecdotes se succedaient; le meunier, surpris par cinq grands loups, qui les mit en fuite en enflammant une allumette; la petite fille qu'une louve accompagna au galop pendant deux lieues, et qui fut mangee seulement a sa porte, lorsqu'elle tomba; d'autres, d'autres encore, des legendes de loups−garous, d'hommes changes en betes, sautant sur les epaules des passants attardes, les forcant a courir, jusqu'a la mort. Mais, autour de la maigre chandelle, ce qui glacait les filles de la veillee, ce qui, a la sortie, les faisait se sauver, eperdues, fouillant l'ombre, c'etaient les crimes des Chauffeurs, de la fameuse bande d'Orgeres, dont apres soixante ans la contree frissonnait. Ils etaient des centaines, tous rouleurs de routes, mendiants, deserteurs, faux colporteurs, des hommes, des enfants, des femmes, qui vivaient de vols, de meurtres et de debauches. Ils descendaient des troupes armees et disciplinees de l'ancien brigandage, mettant a profit les troubles de la Revolution, faisant en regle le siege des maisons isolees, ou ils entraient “a la bombe", en enfoncant les portes a l'aide de beliers. Des la nuit venue, comme les loups, ils sortaient de la foret de Dourdan, des broussailles de la Conie, des repaires boises ou ils se cachaient; et la terreur tombait avec l'ombre, sur les fermes de la Beauce, d'Etampes a Chateaudun, de Chartres a Orleans. Parmi leurs atrocites legendaires, celle qui revenait le plus souvent a Rognes, etait le pillage de la ferme de Millouard, distante de quelques lieues seulement, dans le canton d'Orgeres. Le Beau−Francois, le chef celebre, le successeur de Fleur−d'Epine, cette nuit−la, avait avec lui le Rouge−d'Auneau, son lieutenant, le Grand−Dragon, Breton−le−cul−sec, Lonjumeau, Sans−Pouce, cinquante autres, tous le visage noirci. D'abord, ils jeterent dans la cave les gens de la ferme, les servantes, les charretiers, le berger, a coups de baionnette; ensuite, ils “chaufferent” le fermier, le pere Fousset, qu'ils avaient garde seul. Quand ils lui eurent allonge les pieds au−dessus des braises de la cheminee, ils allumerent avec des brandes de paille sa barbe et tout le poil de son corps; puis, ils revinrent aux pieds, qu'ils tailladerent de la pointe d'un couteau, pour que la flamme penetrat mieux. Enfin, le vieux s'etant decide a dire ou etait son argent ils le lacherent, ils emporterent un butin considerable. Fousset, qui avait eu la force de se trainer jusqu'a une maison voisine, ne mourut que plus tard. Et, invariablement, le recit se terminait par le proces et l'execution, a Chartres, de la bande des Chauffeurs, que le Borgne−de−Jouy avait vendue: un proces monstre, dont l'instruction demanda dix−huit mois, et pendant lequel soixante−quatre des prevenus moururent en prison d'une peste determinee par leur ordure; un proces qui defera a la cour d'assises cent quinze accuses dont trente−trois contumaces, qui fit poser au jury sept mille huit cents questions, qui aboutit a vingt−trois condamnations a mort. <strong>La</strong> nuit de l'execution, en se partageant les depouilles des supplicies, sous l'echafaud rouge de sang, les bourreaux de Chartres et de Dreux se battirent. Fouan, a propos d'un assassinat qui s'etait commis du cote de Janville, raconta donc une fois de plus les abominations de la ferme de Millouard; et il en etait a la complainte composee en prison par le Rouge−d'Auneau lui−meme, lorsque des bruits etranges sur la route, des pas, des poussees, des jurons, V 39
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—Maintenant, retourne−toi. Il c
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son pere, feignant de ne pas l'avoi
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terre; ca le tenait si fort, qu'il
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—Ah! ouiche! j'ai vu justement ce
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La Terre faisait battre par son hom
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Coelina, qui servait, eut un geste
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elle n'eut plus qu'une envie, quitt
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marchait, ca commencait a etre amus
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D'un saut, Buteau se trouva debout,
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—Nom de Dieu de maladroit! cria N
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facile et plus drole, mettez−vous
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son elan, tapant de la tete ainsi q
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alle jusqu'au bout, sans omettre un
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La Terre C'etait pour les Charles u
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—Comment, pourquoi? Mais parce qu
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Alors Buteau se rua, pesa de tout l
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Lorsque, vers neuf heures, Jean eut
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La Terre cendre des papiers: du mon
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Les Buteau, lorsqu'ils apercurent J
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souffrir dans cette vie. Lorsque De
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qui sort comme elle est entree, ave