• V • VI Christine De Ryck Carlo Traverso, Charles Franks and the Online Distributed Proofreading Team. This file was produced from images generously made available by the Bibliotheque nationale de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr. LES ROUGON−MACQUART HISTOIRE NATURELLE ET SOCIALE D'UNE FAMILLE SOUS LE SECOND EMPIRE LA TERRE LA TERRE Par EMILE ZOLA <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> PREMIERE PARTIE I Jean, ce matin−la, un semoir de toile bleue noue sur le ventre, en tenait la poche ouverte de la main gauche, et de la droite, tous les trois pas, il y prenait une poignee de ble, que d'un geste, a la volee, il jetait. Ses gros souliers trouaient et emportaient la terre grasse, dans le balancement cadence de son corps; tandis que, a chaque jet, au milieu de la semence blonde toujours volante, on voyait luire les deux galons rouges d'une veste d'ordonnance, qu'il achevait d'user. Seul, en avant, il marchait, l'air grandi; et, derriere, pour enfouir le grain, une herse roulait lentement, attelee de deux chevaux, qu'un charretier poussait a longs coups de fouet reguliers, claquant au−dessus de leurs oreilles. <strong>La</strong> parcelle de terre, d'une cinquantaine d'ares a peine, au lieu dit des Cornailles, etait si peu importante, que M. Hourdequin, le maitre de la Borderie, n'avait pas voulu y envoyer le semoir mecanique, occupe ailleurs. Jean, qui remontait la piece du midi au nord, avait justement devant lui, a deux kilometres, les batiments de la ferme. Arrive au bout du sillon, il leva les yeux, regarda sans voir, en soufflant une minute. C'etaient des murs bas, une tache brune de vieilles ardoises, perdue au seuil de la Beauce, dont la plaine, vers Chartres, s'etendait. Sous le ciel vaste, un ciel couvert de la fin d'octobre, dix lieues de cultures etalaient en cette saison les terres nues, jaunes et fortes, des grands carres de labour, qui alternaient avec les nappes vertes des luzernes et des trefles; et cela sans un coteau, sans un arbre, a perte de vue, se confondant, s'abaissant, derriere la ligne d'horizon, nette et ronde comme sur une mer. Du cote de l'ouest, un petit bois bordait seul le ciel d'une bande roussie. Au milieu, une route, la route de Chateaudun a Orleans, d'une blancheur de craie, s'en allait toute droite pendant−quatre lieues, deroulant, le defile geometrique des poteaux du telegraphe. Et rien autre, que trois ou quatre moulins de bois, sur leur pied de charpente, les ailes immobiles. Des villages faisaient des ilots de pierre, un clocher au loin emergeait d'un pli de terrain, sans qu'on vit l'eglise, dans les molles ondulations de cette terre du ble. Mais Jean se retourna, et il repartit, du nord au midi, avec son balancement, la main gauche tenant le semoir, la droite fouettant l'air d'un vol continu de semence. Maintenant, il avait devant lui, tout proche, coupant la PREMIERE PARTIE 2
plaine ainsi qu'un fosse, l'etroit vallon de l'Aigre, apres lequel recommencait la Beauce, immense, jusqu'a Orleans. On ne devinait les prairies et les ombrages qu'a une ligne de grands peupliers, dont les cimes jaunies depassaient le trou, pareilles, au ras des bords, a de courts buissons. Du petit village de Rognes, bati sur la pente, quelques toitures seules etaient en vue, au pied de l'eglise, qui dressait en haut son clocher de pierres grises, habite par des familles de corbeaux tres vieilles. Et, du cote de l'est, au dela de la vallee du Loir, ou se cachait a deux lieues Cloyes, le chef−lieu du canton, se profilaient, les lointains coteaux du Perche, violatres sous le jour ardoise. On se trouvait la dans l'ancien Dunois, devenu aujourd'hui l'arrondissement de Chateaudun, entre le Perche et la Beauce, et a la lisiere meme de celle−ci, a cet endroit ou les terres moins fertiles lui font donner le nom de Beauce pouilleuse. Lorsque Jean fut au bout du champ, il s'arreta encore, jeta un coup d'oeil en bas, le long du ruisseau de l'Aigre, vif et clair a travers les herbages, et que suivait la route de Cloyes, sillonnee ce samedi−la par les carrioles des paysans allant au marche. Puis, il remonta. Et toujours, et du meme pas, avec le meme geste, il allait au nord, il revenait au midi, enveloppe dans la poussiere vivante du grain; pendant que, derriere, la herse, sous les claquements du fouet, enterrait les germes, du meme train doux et comme reflechi. De longues pluies venaient de retarder les semailles d'automne; on avait encore fume en aout, et les labours etaient prets depuis longtemps, profonds, nettoyes des herbes salissantes, bons a redonner du ble, apres le trefle et l'avoine de l'assolement triennal. Aussi la peur des gelees prochaines, menacantes a la suite de ces deluges, faisait−elle se hater les cultivateurs. Le temps s'etait mis brusquement au froid, un temps couleur de suie, sans un souffle de vent, d'une lumiere egale et morne sur cet ocean de terre immobile. De toutes parts, on semait: il y avait un autre semeur a gauche, a trois cents metres, un autre plus loin, vers la droite; et d'autres, d'autres encore s'enfoncaient en face, dans la perspective fuyante des terrains plats. C'etaient de petites silhouettes noires, de simples traits de plus en plus minces, qui se perdaient a des lieues. Mais tous avaient le geste, l'envolee de la semence, que l'on devinait comme une onde de vie autour d'eux. <strong>La</strong> plaine en prenait un frisson, jusque dans les lointains noyes, ou les semeurs epars ne se voyaient plus. Jean descendait pour la derniere fois, lorsqu'il apercut, venant de Rognes, une grande vache rousse et blanche, qu'une jeune fille, presque une enfant, conduisait a la corde. <strong>La</strong> petite paysanne et la bete suivaient le sentier qui longeait le vallon, au bord du plateau; et, le dos tourne, il avait acheve l'emblave en remontant, lorsqu'un bruit de course, au milieu de cris etrangles, lui fit de nouveau lever la tete, comme il denouait son semoir pour partir. C'etait la vache emportee, galopant dans une luzerniere, suivie de la fille qui s'epuisait a la retenir. Il craignit un malheur, il cria: —<strong>La</strong>che−la donc! Elle n'en faisait rien, elle haletait, injuriait sa vache, d'une voix de colere et d'epouvante. —<strong>La</strong> Coliche! veux−tu bien, la Coliche!... Ah! sale bete!... Ah! sacree rosse! Jusque−la, courant et sautant de toute la longueur de ses petites jambes, elle avait pu la suivre. Mais elle buta, tomba une premiere fois, se releva pour retomber plus loin; et, des lors, la bete s'affolant, elle fut trainee. Maintenant, elle hurlait. Son corps, dans la luzerne, laissait un sillage. —<strong>La</strong>che−la donc, nom de Dieu! continuait a crier Jean. <strong>La</strong>che−la donc! Et il criait cela machinalement, par terreur; car il courait lui aussi, en comprenant enfin: la corde devait s'etre nouee autour du poignet, serree davantage a chaque nouvel effort. Heureusement, il coupa au travers d'un labour, arriva d'un tel galop devant la vache, que celle−ci, effrayee, stupide, s'arreta net. Deja, il denouait la corde, il asseyait la fille dans l'herbe. —Tu n'as rien de casse? <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> PREMIERE PARTIE 3
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terre; ca le tenait si fort, qu'il
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Coelina, qui servait, eut un geste
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marchait, ca commencait a etre amus
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D'un saut, Buteau se trouva debout,
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Alors Buteau se rua, pesa de tout l
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Lorsque, vers neuf heures, Jean eut
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Les Buteau, lorsqu'ils apercurent J
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souffrir dans cette vie. Lorsque De
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qui sort comme elle est entree, ave