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Émile Zola - La Terre

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Buteau, le front dur d'obstination, ne recula pas devant le poing leve de son pere.<br />

—Non!<br />

Le silence retomba, embarrasse. Maintenant, l'enorme chapeau genait, barrant les choses, avec cet unique<br />

billet au fond, que personne ne voulait toucher. L'arpenteur, pour en finir, conseilla au vieux de le tirer<br />

lui−meme. Et le vieux, gravement, le tira, alla le lire devant la fenetre, comme s'il ne l'eut pas connu.<br />

—Trois!... Tu as le troisieme lot, entends−tu? L'acte est pret, bien sur que M. Baillehache n'y changera rien,<br />

car ce qui est fait n'est pas a refaire... Et, puisque tu couches ici, je te donne la nuit pour reflechir... Allons,<br />

c'est fini, n'en causons plus.<br />

Buteau, noye de tenebres, ne repondit pas. Les autres approuverent bruyamment, tandis que la mere se<br />

decidait a allumer une chandelle, pour mettre le couvert.<br />

Et, a cette minute, Jean qui venait rejoindre son camarade, apercut deux ombres enlacees, guettant de la route,<br />

deserte et noire, ce qu'on faisait chez les Fouan. Dans le ciel d'ardoise, des flocons de neige commencaient a<br />

voler, d'une legerete de plume.<br />

—Oh! monsieur Jean, dit une voix douce, vous nous avez fait peur!<br />

Alors, il reconnut Francoise, encapuchonnee, avec sa face longue, aux levres fortes. Elle se serrait contre sa<br />

soeur Lise, la tenait d'un bras a la taille. Les deux soeurs s'adoraient, on les rencontrait toujours de la sorte, au<br />

cou l'une de l'autre. Lise, plus grande, l'air agreable, malgre ses gros traits et la bouffissure commencante de<br />

toute sa ronde personne, restait rejouie dans son malheur.<br />

—Vous espionnez donc? demanda−t−il gaiement.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Dame! repondit−elle, ca m'interesse, ce qui se passe la−dedans... Savoir si ca va decider Buteau!<br />

Francoise, d'un geste de caresse, avait emprisonne de son autre bras le ventre enfle de sa soeur.<br />

—S'il est permis, le cochon!... Quand il aura la terre, peut−etre qu'il voudra une fille plus riche.<br />

Mais Jean leur donna bon espoir: le partage devait etre termine, on arrangerait le reste. Puis, lorsqu'il leur<br />

apprit qu'il mangeait chez les vieux. Francoise dit encore:<br />

—Ah bien! nous vous reverrons tout a l'heure, nous irons a la veillee.<br />

Il les regarda se perdre dans la nuit. <strong>La</strong> neige tombait plus epaisse, leurs vetements confondus se liseraient<br />

d'un fin duvet blanc.<br />

V<br />

Des sept heures, apres le diner, les Fouan, Buteau et Jean etaient alles, dans l'etable, rejoindre les deux vaches,<br />

que Rose devait vendre. Ces betes, attachees au fond, devant l'auge, chauffaient la piece de l'exhalaison forte<br />

de leur corps et de leur litiere; tandis que la cuisine, avec les trois maigres tisons du diner, se trouvait deja<br />

glacee par les gelees precoces de novembre. Aussi, l'hiver, veillait−on la, sur la terre battue, bien a l'aise, au<br />

chaud, sans autre derangement que d'y transporter une petite table ronde et une douzaine de vieilles chaises.<br />

Chaque voisin apportait la chandelle a son tour; de grandes ombres dansaient le long des murailles nues,<br />

noires de poussiere, jusqu'aux toiles d'araignee des charpentes; et l'on avait dans le dos les souffles tiedes des<br />

V 37

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