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Émile Zola - La Terre

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—Je te jure que si! Nous avions mange ensemble une salade de harengs sales. Et alors il m'a dit: Pas un mot,<br />

je suis l'empereur... Je l'ai bien reconnu, a cause de son portrait sur les pieces de cent sous.<br />

—Possible! Une canaille tout de meme, qui bat sa femme et qui n'a jamais aime sa mere!<br />

—Tais−toi, nom de Dieu! ou je te casse la gueule!<br />

Il fallut enlever des mains de Becu le litre qu'il brandissait, tandis que Jesus−Christ, les yeux mouilles,<br />

attendait le coup, dans une resignation souriante. Et ils se remirent a jouer, fraternellement. Atout, atout et<br />

atout!<br />

Macqueron, que l'indifference affectee du maitre d'ecole troublait, finit par lui demander:<br />

—Et vous, monsieur Lequeu, qu'est−ce que vous en dites?<br />

Lequeu, qui chauffait ses longues mains blemes contre le tuyau du poele, eut un sourire aigre d'homme<br />

superieur que sa position force au silence.<br />

—Moi, je n'en dis rien, ca ne me regarde pas.<br />

Alors, Macqueron alla plonger sa face dans une terrine d'eau, et tout en reniflant, en s'essuyant:<br />

—Eh bien? ecoutez ca, je veux faire quelque chose... Oui, nom de Dieu! si l'on vote la route, je donne mon<br />

terrain pour rien.<br />

Cette declaration stupefia les autres. Jesus−Christ et Becu eux−memes, malgre leur ivresse, leverent la tete. Il<br />

y eut un silence, on le regardait comme s'il fut devenu brusquement fou; et lui, fouette par l'effet produit, les<br />

mains tremblantes pourtant de l'engagement qu'il prenait, ajouta:<br />

—Il y en aura bien un demi−arpent... Cochon qui s'en dedit! C'est jure!<br />

Lengaigne s'en alla avec son fils Victor, exaspere et malade de cette largesse du voisin: la terre ne lui coutait<br />

guere, il avait assez vole le monde! Macqueron, malgre le froid, decrocha son fusil, sortit voir s'il rencontrerait<br />

un lapin, apercu la veille au bout de sa vigne. Il ne resta que Lequeu, qui passait la ses dimanches, sans rien<br />

boire, et que les deux joueurs, acharnes, le nez dans les cartes. Des heures s'ecoulerent, d'autres paysans<br />

vinrent et repartirent.<br />

Vers cinq heures, une main brutale poussa la porte, et Buteau parut, suivi de Jean. Des qu'il apercut<br />

Jesus−Christ, il cria:<br />

—J'aurais parie vingt sous. Est−ce que tu te fous du peuple? Nous t'attendons.<br />

Mais l'ivrogne, bavant et s'egayant, repondit:<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Eh! sacre farceur, c'est moi qui t'attends... Depuis ce matin, tu nous fais droguer.<br />

Buteau s'etait arrete a la Borderie, ou Jacqueline, que des quinze ans il culbutait sur le foin, l'avait retenu a<br />

manger des roties avec Jean. Le fermier Hourdequin etant alle dejeuner a Cloyes, au sortir de la messe, on<br />

avait noce tres tard, et les deux garcons arrivaient seulement, ne se quittant plus.<br />

IV 34

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