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Émile Zola - La Terre

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cheveux rares, la face plate, molle, jaune de son; et, cassee, epuisee par des travaux trop rudes, elle chancelait<br />

sous un fagot de menu bois.<br />

—Palmyre, demanda−t−il, pourquoi n'etes−vous pas venue a la messe, un jour de Toussaint? C'est tres mal.<br />

Elle eut un gemissement.<br />

—Sans doute, monsieur le cure, mais comment faire?... Mon frere a froid, nous gelons chez nous. Alors, je<br />

suis allee ramasser ca, le long des haies.<br />

—<strong>La</strong> Grande est donc toujours aussi dure?<br />

—Ah bien! elle creverait plutot que de nous jeter un pain ou une buche.<br />

Et, de sa voix dolente, elle repeta leur histoire, comment leur grand'mere les chassait, comment elle avait du<br />

se loger avec son frere dans une ancienne ecurie abandonnee. Ce pauvre Hilarion, bancal, la bouche tordue par<br />

un bec−de−lievre, etait sans malice, malgre ses vingt−quatre ans, si bete, que personne ne voulait le faire<br />

travailler. Elle travaillait donc pour lui, a se tuer, elle avait pour cet infirme des soins passionnes, une<br />

tendresse vaillante de mere.<br />

En l'ecoutant, la face epaisse et suante de l'abbe Godard se transfigurait d'une bonte exquise, ses petits yeux<br />

coleres s'embellissaient de charite, sa bouche grande prenait une grace douloureuse. Le terrible grognon,<br />

toujours emporte dans un vent de violence, avait la passion des miserables, leur donnait tout, son argent, son<br />

linge, ses habits, a ce point qu'on aurait pas trouve, en Beauce, un pretre ayant une soutane plus rouge et plus<br />

reprisee.<br />

Il se fouilla d'un air inquiet, il glissa a Palmyre une piece de cent sous.<br />

—Tenez! cachez ca, je n'en ai pas pour les autres... Et il faudra que je parle encore a la Grande, puisqu'elle est<br />

si mauvaise.<br />

Cette fois, il se sauva. Heureusement, comme il suffoquait, en remontant la cote, de l'autre cote de l'Aigre, le<br />

boucher de Bazoches−le−Doyen, qui rentrait, le prit dans sa carriole; et il disparut au ras de la plaine, secoue,<br />

avec la silhouette dansante de son tricorne, sur le ciel livide.<br />

Pendant ce temps, la place de l'Eglise s'etait videe, Fouan et Rose venaient de redescendre chez eux, ou<br />

Grosbois se trouvait deja. Un peu avant dix heures, Delhomme et Jesus−Christ arriverent a leur tour; mais on<br />

attendit en vain Buteau jusqu'a midi, jamais ce sacre original ne pouvait etre exact. Sans doute il s'etait arrete<br />

en chemin, a dejeuner quelque part. On voulut passer outre; puis, la sourde peur qu'il inspirait, avec sa<br />

mauvaise tete, fit decider qu'on tirerait les lots apres le dejeuner, vers deux heures seulement. Grosbois, qui<br />

accepta des Fouan un morceau de lard et un verre de vin, acheva la bouteille, en entama une autre, retombe<br />

dans son etat d'ivresse habituel.<br />

A deux heures, toujours pas de Buteau. Alors, Jesus−Christ, dans le besoin de godaille qui alanguissait le<br />

village, par ce dimanche de fete, vint passer devant chez Macqueron, en allongeant le cou; et cela reussit, la<br />

porte fut brusquement ouverte, Becu se montra et cria:<br />

—Arrive, mauvaise troupe, que je te paye un canon!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Il s'etait raidi encore, de plus en plus digne a mesure qu'il se grisait. Une fraternite d'ancien militaire ivrogne,<br />

une tendresse secrete le portait vers le braconnier; mais il evitait de le reconnaitre quand il etait en fonction, sa<br />

IV 31

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