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Émile Zola - La Terre

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Eh! oui, son maitre Hourdequin s'etait fait bien du mauvais sang avec les inventions nouvelles, n'avait pas tire<br />

grand'chose de bon des machines, des engrais, de toute cette science si mal employee encore. Puis, la<br />

Cognette etait venue l'achever; lui aussi dormait au cimetiere; et rien ne restait de la ferme, dont le vent<br />

emportait les cendres. Mais, qu'importait! les murs pouvaient bruler, on ne brulerait pas la terre. Toujours la<br />

terre, la nourrice, serait la, qui nourrirait ceux qui l'ensemenceraient. Elle avait l'espace et le temps, elle<br />

donnait tout de meme du ble, en attendant qu'on sut lui en faire donner davantage.<br />

C'etait comme ces histoires de revolutions, ces bouleversements politiques qu'on annoncait. Le sol, disait−on,<br />

passerait en d'autres mains, les moissons des pays de la−bas viendraient ecraser les notres, il n'y aurais plus<br />

que des ronces dans nos champs. Et apres? est−ce qu'on peut faire du tort a la terre? Elle appartiendra quand<br />

meme a quelqu'un, qui sera bien force de la cultiver pour ne pas crever de faim. Si, pendant des annees, les<br />

mauvaises herbes y poussaient, ca la reposerait, elle en redeviendrait jeune et feconde. <strong>La</strong> terre n'entre pas<br />

dans nos querelles d'insectes rageurs, elle ne s'occupe pas plus de nous que des fourmis, la grande travailleuse,<br />

eternellement a sa besogne.<br />

Il y avait aussi la douleur, le sang, les larmes, tout ce qu'on souffre et tout ce qui revolte, Francoise tuee,<br />

Fouan tue, les coquins triomphants, la vermine sanguinaire et puante des villages deshonorant et rongeant la<br />

terre. Seulement, est−ce qu'on sait? De meme que la gelee qui brule les moissons, la grele qui les hache, la<br />

foudre qui les verse, sont necessaires peut−etre, il est possible qu'il faille du sang et des larmes pour que le<br />

monde marche. Qu'est−ce que notre malheur pese, dans la grande mecanique des etoiles et du soleil? Il se<br />

moque bien de nous, le bon Dieu! Nous n'avons notre pain que par un duel terrible et de chaque jour. Et la<br />

terre seule demeure l'immortelle, la mere d'ou nous sortons et ou nous retournons, elle qu'on aime jusqu'au<br />

crime, qui refait continuellement de la vie pour son but ignore, meme avec nos abominations et nos miseres.<br />

Longtemps, cette revasserie confuse, mal formulee, roula dans le crane de Jean. Mais un clairon sonna au loin,<br />

le clairon des pompiers de Bazoches−le−Doyen qui arrivaient au pas de course, trop tard. Et, a cet appel,<br />

brusquement, il se redressa. C'etait la guerre passant dans la fumee, avec ses chevaux, ses canons, sa clameur<br />

de massacre.<br />

Il serrait les poings. Ah! bon sang! puisqu'il n'avait plus le coeur a la travailler, il la defendrait, la vieille terre<br />

de France!<br />

Il partait, lorsque, une derniere fois, il promena ses regards des deux fosses, vierges d'herbe, aux labours sans<br />

fin de la Beauce, que les semeurs emplissaient de leur geste continu. Des morts, des semences, et le pain<br />

poussait de la terre.<br />

FIN<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

VI 278

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