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Émile Zola - La Terre

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D'une paire de gifles, il les avait jetes par terre. Ils se ramasserent, sans une larme, ils coururent se pelotonner<br />

sur leur matelas, ou ils ne bougerent plus.<br />

Et lui voulut en finir, alluma la paillasse, malgre sa femme. Heureusement, la piece etait si humide, que la<br />

paille brulait lentement. Une grosse fumee se degageait, ils ouvrirent la lucarne, a demi asphyxies. Puis, des<br />

flammes s'elancerent, grandirent jusqu'au plafond. Le pere craquait la−dedans, et l'insupportable odeur<br />

augmentait, l'odeur des chairs cuites. Toute la vieille demeure aurait flambe comme une meule, si la paille ne<br />

s'etait pas remise a fumer sous le bouillonnement du corps. Il n'y eut plus, sur les traverses du lit de fer, que ce<br />

cadavre a demi calcine, defigure, meconnaissable. Un coin de la paillasse etait reste intact, un bout du drap<br />

pendait encore.<br />

—Filons, dit Lise, qui, malgre la grosse chaleur, grelottait de nouveau.<br />

—Attends, repondit Buteau, faut arranger les choses.<br />

Il posa au chevet une chaise, d'ou il renversa la chandelle du vieux, pour faire croire qu'elle etait tombee sur la<br />

paillasse. Meme il eut la malignite d'enflammer du papier par terre. On trouverait les cendres, il raconterait<br />

que, la veille, le vieux avait decouvert et garde ses titres.<br />

—C'est fait, au lit!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Buteau et Lise coururent, se bousculerent l'un derriere l'autre, se replongerent dans leur lit. Mais les draps<br />

s'etaient glaces, ils se reprirent d'une etreinte violente, pour avoir chaud. Le jour se leva, qu'ils ne dormaient<br />

pas encore. Ils ne disaient rien, ils avaient des tressaillements, apres lesquels ils entendaient leur coeur battre,<br />

a grands coups. C'etait la porte de la chambre voisine, restee ouverte, qui les genait; et l'idee de la fermer les<br />

inquietait davantage. Enfin, ils s'assoupirent, sans se lacher.<br />

Le matin, aux appels desesperes des Buteau, le voisinage accourut. <strong>La</strong> Frimat et les autres femmes<br />

constaterent la chandelle renversee, la paillasse a moitie detruite, les papiers reduits en cendres. Toutes<br />

criaient que ca devait arriver un jour, qu'elles l'avaient predit cent fois, a cause de ce vieux tombe en enfance.<br />

Et une chance encore que la maison n'eut pas brule avec lui!<br />

VI<br />

Deux jours apres, le matin meme ou le pere Fouan devait etre enterre, Jean, las d'une nuit d'insomnie, s'eveilla<br />

tres tard, dans la petite chambre qu'il occupait chez Lengaigne. Il n'etait pas alle encore a Chateaudun, pour le<br />

proces, dont l'idee seule l'empechait de quitter Rognes; chaque soir, il remettait l'affaire au lendemain, hesitant<br />

davantage, a mesure que sa colere se calmait; et c'etait un dernier combat qui l'avait tenu eveille, fievreux, ne<br />

sachant quelle decision prendre.<br />

Ces Buteau! des brutes meurtrieres, des assassins, dont un honnete homme aurait du faire couper la tete! A la<br />

premiere nouvelle de la mort du vieux, il avait bien compris le mauvais coup. Les gredins, parbleu venaient de<br />

le griller vif, pour l'empecher de causer. Francoise, Fouan: de tuer l'une, ca les avait forces de tuer l'autre. A<br />

qui le tour, maintenant? Et il songeait que c'etait son tour: on le savait dans le secret, on lui enverrait surement<br />

du plomb, au coin d'un bois, s'il s'obstinait a habiter le pays. Alors, pourquoi ne pas les denoncer tout de suite?<br />

Il s'y decidait, il irait conter l'histoire aux gendarmes, des son lever. Puis, l'hesitation le reprenait, une<br />

mefiance de cette grosse affaire ou il serait temoin, une crainte d'en souffrir autant que les coupables. A quoi<br />

bon se creer des soucis encore? Sans doute, ce n'etait guere brave, mais il se donnait une excuse, il se repetait<br />

qu'en ne parlant pas, il obeissait a la volonte derniere de Francoise. Vingt fois dans la nuit, il voulut, il ne<br />

voulut plus, malade de ce devoir devant lequel il reculait.<br />

VI 268

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