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D'une paire de gifles, il les avait jetes par terre. Ils se ramasserent, sans une larme, ils coururent se pelotonner<br />
sur leur matelas, ou ils ne bougerent plus.<br />
Et lui voulut en finir, alluma la paillasse, malgre sa femme. Heureusement, la piece etait si humide, que la<br />
paille brulait lentement. Une grosse fumee se degageait, ils ouvrirent la lucarne, a demi asphyxies. Puis, des<br />
flammes s'elancerent, grandirent jusqu'au plafond. Le pere craquait la−dedans, et l'insupportable odeur<br />
augmentait, l'odeur des chairs cuites. Toute la vieille demeure aurait flambe comme une meule, si la paille ne<br />
s'etait pas remise a fumer sous le bouillonnement du corps. Il n'y eut plus, sur les traverses du lit de fer, que ce<br />
cadavre a demi calcine, defigure, meconnaissable. Un coin de la paillasse etait reste intact, un bout du drap<br />
pendait encore.<br />
—Filons, dit Lise, qui, malgre la grosse chaleur, grelottait de nouveau.<br />
—Attends, repondit Buteau, faut arranger les choses.<br />
Il posa au chevet une chaise, d'ou il renversa la chandelle du vieux, pour faire croire qu'elle etait tombee sur la<br />
paillasse. Meme il eut la malignite d'enflammer du papier par terre. On trouverait les cendres, il raconterait<br />
que, la veille, le vieux avait decouvert et garde ses titres.<br />
—C'est fait, au lit!<br />
<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />
Buteau et Lise coururent, se bousculerent l'un derriere l'autre, se replongerent dans leur lit. Mais les draps<br />
s'etaient glaces, ils se reprirent d'une etreinte violente, pour avoir chaud. Le jour se leva, qu'ils ne dormaient<br />
pas encore. Ils ne disaient rien, ils avaient des tressaillements, apres lesquels ils entendaient leur coeur battre,<br />
a grands coups. C'etait la porte de la chambre voisine, restee ouverte, qui les genait; et l'idee de la fermer les<br />
inquietait davantage. Enfin, ils s'assoupirent, sans se lacher.<br />
Le matin, aux appels desesperes des Buteau, le voisinage accourut. <strong>La</strong> Frimat et les autres femmes<br />
constaterent la chandelle renversee, la paillasse a moitie detruite, les papiers reduits en cendres. Toutes<br />
criaient que ca devait arriver un jour, qu'elles l'avaient predit cent fois, a cause de ce vieux tombe en enfance.<br />
Et une chance encore que la maison n'eut pas brule avec lui!<br />
VI<br />
Deux jours apres, le matin meme ou le pere Fouan devait etre enterre, Jean, las d'une nuit d'insomnie, s'eveilla<br />
tres tard, dans la petite chambre qu'il occupait chez Lengaigne. Il n'etait pas alle encore a Chateaudun, pour le<br />
proces, dont l'idee seule l'empechait de quitter Rognes; chaque soir, il remettait l'affaire au lendemain, hesitant<br />
davantage, a mesure que sa colere se calmait; et c'etait un dernier combat qui l'avait tenu eveille, fievreux, ne<br />
sachant quelle decision prendre.<br />
Ces Buteau! des brutes meurtrieres, des assassins, dont un honnete homme aurait du faire couper la tete! A la<br />
premiere nouvelle de la mort du vieux, il avait bien compris le mauvais coup. Les gredins, parbleu venaient de<br />
le griller vif, pour l'empecher de causer. Francoise, Fouan: de tuer l'une, ca les avait forces de tuer l'autre. A<br />
qui le tour, maintenant? Et il songeait que c'etait son tour: on le savait dans le secret, on lui enverrait surement<br />
du plomb, au coin d'un bois, s'il s'obstinait a habiter le pays. Alors, pourquoi ne pas les denoncer tout de suite?<br />
Il s'y decidait, il irait conter l'histoire aux gendarmes, des son lever. Puis, l'hesitation le reprenait, une<br />
mefiance de cette grosse affaire ou il serait temoin, une crainte d'en souffrir autant que les coupables. A quoi<br />
bon se creer des soucis encore? Sans doute, ce n'etait guere brave, mais il se donnait une excuse, il se repetait<br />
qu'en ne parlant pas, il obeissait a la volonte derniere de Francoise. Vingt fois dans la nuit, il voulut, il ne<br />
voulut plus, malade de ce devoir devant lequel il reculait.<br />
VI 268