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Émile Zola - La Terre

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a Rognes, d'ou ils veillaient sur leur petite−fille Elodie, qu'on avait mise a son tour au pensionnat de<br />

Chateaudun, chez les soeurs de la Visitation, pour y etre elevee religieusement, selon les principes les plus<br />

stricts de la morale.<br />

Lorsque M. Charles entra dans la cuisine, ou une jeune bonne battait une omelette, en surveillant une poelee<br />

d'alouettes sautees au beurre, tous, meme le vieux Fouan et Delhomme, se decouvrirent et parurent<br />

extremement flattes de serrer la main qu'il leur tendait.<br />

—Ah! bon sang! dit Grosbois pour lui etre agreable, quelle charmante propriete vous avez la, monsieur<br />

Charles!... Et quand on pense que vous avez paye ca rien du tout! Oui, oui, vous etes un malin, un vrai!<br />

L'autre se rengorgea.<br />

—Une occasion, une trouvaille, ca nous a plu, et puis Mme Charles tenait absolument a finir ses jours dans<br />

son pays natal... Moi, devant les choses du coeur, je me suis toujours incline.<br />

Roseblanche, comme on nommait la propriete, etait la folie d'un bourgeois de Cloyes, qui venait d'y depenser<br />

pres de cinquante mille francs, lorsqu'une apoplexie l'y avait foudroye, avant que les peintures fussent seches.<br />

<strong>La</strong> maison, tres coquette, posee a mi−cote, etait entouree d'un jardin de trois hectares, qui descendait jusqu'a<br />

l'Aigre. Au fond de ce trou perdu, a la lisiere de la triste Beauce, pas un acheteur ne s'etait presente, et M.<br />

Charles l'avait eue pour vingt mille francs. Il y contentait beatement tous ses gouts, des truites et des anguilles<br />

superbes, pechees dans la riviere, des collections de rosiers et d'oeillets cultivees avec amour, des oiseaux<br />

enfin, une grande voliere pleine des especes chanteuses de nos bois, que personne autre que lui ne soignait. Le<br />

menage, vieilli et tendre, mangeait la ses douze mille francs de rente, dans un bonheur absolu, qu'il regardait<br />

comme la recompense legitime de ses trente annees de travail.<br />

—N'est−ce pas? ajouta M. Charles, on sait au moins qui nous sommes, ici.<br />

—Sans doute, on vous connait, repondit l'arpenteur. Votre argent parle pour vous.<br />

Et tous les autres approuverent.<br />

—Bien sur, bien sur.<br />

Alors, M. Charles dit a la servante de donner des verres. Il descendit lui−meme chercher deux bouteilles de<br />

vin a la cave. Tous, le nez tourne vers la poele ou se rissolaient les alouettes, flairaient la bonne odeur. Et ils<br />

burent gravement, se gargariserent.<br />

—Ah! fichtre! il n'est pas du pays, celui−la!... Fameux!<br />

—Encore un coup... A votre sante!<br />

—A votre sante!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Comme ils reposaient leurs verres, Mme. Charles parut, une dame de soixante−deux ans, a l'air respectable,<br />

aux bandeaux d'un blanc de neige, qui avait le masque epais et a gros nez des Fouan, mais d'une paleur rosee,<br />

d'une paix et d'une douceur de cloitre, une chair de vieille religieuse ayant vecu a l'ombre. Et, se serrant contre<br />

elle, sa petite−fille Elodie, en vacance a Rognes pour deux jours, la suivait, dans son effarement de timidite<br />

gauche. Mangee de chlorose, trop grande pour ses douze ans, elle avait la laideur molle et bouffie, les cheveux<br />

rares et decolores de son sang pauvre, si comprimee, d'ailleurs, par son education de vierge innocente, qu'elle<br />

en etait imbecile.<br />

III 25

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