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Émile Zola - La Terre

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Alors Buteau se rua, pesa de tout le poids de son corps, pendant qu'elle, montee sur le lit, s'asseyait, enfoncait<br />

sa croupe nue de jument hydropique. Ce fut un enragement, l'un et l'autre foulaient, des poings, des epaules,<br />

des cuisses. Le pere avait eu une secousse violente, ses jambes s'etaient detendues avec des bruits de ressorts<br />

casses. On aurait dit qu'il sautait, pareil a un poisson jete sur l'herbe. Mais ce ne fut pas long. Ils le<br />

maintenaient trop rudement, ils le sentirent sous eux qui s'aplatissait, qui se vidait de l'existence. Un long<br />

frisson, un dernier tressaillement, puis rien du tout, quelque chose d'aussi mou qu'une chiffe.<br />

—Je crois bien que ca y est, gronda Buteau essouffle.<br />

Lise, toujours assise, en tas, ne dansait plus, se recueillait, pour voir si aucun fremissement de vie ne lui<br />

repondait dans la peau.<br />

—Ca y est, rien ne grouille.<br />

Elle se laissa glisser, la chemise roulee aux hanches, et enleva l'oreiller. Mais ils eurent un grognement de<br />

terreur.<br />

—Nom de Dieu! il est tout noir, nous sommes foutus!<br />

En effet, pas possible de raconter qu'il s'etait mis lui−meme en un pareil etat. Dans leur rage a le pilonner, ils<br />

lui avaient fait rentrer le nez au fond de la bouche; et il etait violet, un vrai negre. Un instant, ils sentirent le<br />

sol vaciller sous eux: ils entendaient le galop des gendarmes, les chaines de la prison, le couteau de la<br />

guillotine. Cette besogne mal faite les emplissait d'un regret epouvante. Comment le raccommoder, a cette<br />

heure? On aurait beau le debarbouiller au savon, jamais il ne redeviendrait blanc. Et ce fut l'angoisse de le voir<br />

couleur de suie qui leur inspira une idee.<br />

—Si on le brulait, murmura Lise.<br />

Buteau, soulage, respira fortement.<br />

—C'est ca, nous dirons qu'il s'est allume lui−meme.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Puis, la pensee des titres lui etant venue, il tapa des mains, tout son visage s'eclaira d'un rire triomphant.<br />

—Ah! nom de Dieu! ca va, on leur fera croire qu'il a flambe les papiers avec lui... Pas de compte a rendre!<br />

Tout de suite, il courut chercher la chandelle. Mais elle, qui avait peur de mettre le feu, ne voulut pas d'abord<br />

qu'il l'approchat du lit. Des liens de paille se trouvaient dans un coin, derriere les betteraves; et elle en prit un,<br />

elle l'enflamma, commenca par griller les cheveux et la barbe du pere, tres longue, toute blanche. Ca sentait la<br />

graisse repandue, ca crepitait, avec de petites flammes jaunes. Soudain, ils se rejeterent en arriere, beants,<br />

comme si une main froide les avait tires par les cheveux. Dans l'abominable souffrance des brulures, le pere,<br />

mal etouffe, venait d'ouvrir les yeux, et ce masque atroce, noir, au grand nez casse, a la barbe incendiee, les<br />

regardait. Il eut une affreuse expression de douleur et de haine. Puis, toute la face se disloqua, il mourut.<br />

Affole deja, Buteau poussa un rugissement de fureur, lorsqu'il entendit eclater des sanglots a la porte. C'etaient<br />

les deux petits, <strong>La</strong>ure et Jules, en chemise, reveilles par le bruit, attires par cette grosse clarte, dans cette<br />

chambre ouverte. Ils avaient vu, ils hurlaient d'effroi.<br />

—Nom de Dieu de vermines! cria Buteau en se precipitant sur eux, si vous bavardez, je vous etrangle.... V'la<br />

pour vous souvenir!<br />

V 267

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