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Émile Zola - La Terre

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—Comment, pourquoi? Mais parce que... voyons... tu comprends bien?... Nous ne l'avons pas laissee jusqu'a<br />

vingt ans chez les dames de la Visitation pour que... enfin, c'est impossible!<br />

Il clignait les yeux, il tordait la bouche, voulant se faire entendre, craignant d'en trop dire. <strong>La</strong> petite la−bas, rue<br />

aux Juifs! une demoiselle qui avait recu tant d'instruction! une purete si absolue, elevee dans l'ignorance de<br />

tout!<br />

—Ah! pardon, declara nettement Nenesse, ca ne fait plus mon affaire... Je me marie pour m'etablir, je veux<br />

ma cousine et la maison.<br />

—<strong>La</strong> confiserie, s'ecria madame Charles.<br />

Et, ce mot lance, la discussion s'en empara, le repeta a dix reprises. <strong>La</strong> confiserie, allons! etait−ce raisonnable?<br />

Le jeune homme et son pere s'entetaient a l'exiger comme dot, disaient qu'on ne pouvait pas lacher ca, que<br />

c'etait la vraie fortune de la future; et ils prenaient a temoin Jean, qui en convenait d'un hochement du menton.<br />

Enfin, ils finirent tous par crier, ils s'oubliaient, precisaient, donnaient des details crus, lorsqu'un incident<br />

inattendu les fit taire.<br />

Lentement, Elodie venait enfin de degager sa tete, et elle se leva, de son air de grand lis pousse a l'ombre, avec<br />

sa paleur mince de vierge chlorotique, ses yeux vides, ses cheveux incolores. Elle les regarda, elle dit<br />

tranquillement:<br />

—Mon cousin a raison, on ne peut pas lacher ca.<br />

Ahurie, madame Charles begayait:<br />

—Mais, mon petit lapin, si tu savais...<br />

—Je sais... Il y a beau temps que Victorine m'a tout dit, Victorine, la bonne qu'on a renvoyee, a cause des<br />

hommes... Je sais, j'y ai reflechi, je vous jure qu'on ne peut pas lacher ca.<br />

Une stupeur avait cloue les Charles. Leurs yeux s'etaient arrondis, ils la contemplaient dans un hebetement<br />

profond. Eh quoi! elle connaissait le 19, ce qu'on y faisait, ce qu'on y gagnait, le metier enfin, et elle en parlait<br />

avec cette serenite! Ah! l'innocence, elle touche a tout sans rougir!<br />

—On ne peut pas lacher ca, repeta−t−elle. C'est trop bon, ca rapporte trop... Et puis une maison que vous avez<br />

faite, ou vous avez travaille si fort, est−ce que ca doit sortir de la famille?<br />

M. Charles en fut bouleverse. Dans son saisissement, montait une emotion indicible, qui lui partait du coeur et<br />

le serrait a la gorge. Il s'etait leve, il chancela, s'appuya sur madame Charles, debout, elle aussi, suffoquee et<br />

tremblante. Tous les deux croyaient a un sacrifice, refusaient d'une voix eperdue.<br />

—Oh! cherie, oh! cherie... Non, non, cherie...<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Mais les yeux d'Elodie se mouillaient, elle baisa la vieille alliance de sa mere, qu'elle portait au doigt, cette<br />

alliance usee la−bas, dans le travail.<br />

—Si, si, laissez−moi suivre mon idee... Je veux etre comme maman. Ce qu'elle a fait, je peux le faire, il n'y a<br />

pas de deshonneur, puisque vous l'avez fait vous−memes... Ca me plait beaucoup, je vous assure. Et vous<br />

verrez si j'aiderai mon cousin, si nous releverons promptement la maison, a nous deux! Il faudra que ca<br />

marche, on ne me connait pas!<br />

V 263

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