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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

C'etait pour les Charles une grosse affaire, depuis le matin. Au sortir du cimetiere, Nenesse les avait<br />

accompagnes jusqu'a Roseblanche; et, tandis que madame Charles rentrait avec Elodie, il avait retenu M.<br />

Charles, il s'etait carrement presente comme acquereur du 19, si l'on tombait d'accord. A l'entendre, la maison,<br />

qu'il connaissait, serait vendue un prix ridicule; Vaucogne n'en trouverait pas cinq mille francs, tellement il<br />

l'avait laissee dechoir; tout y etait a changer, le mobilier defraichi, le personnel choisi sans gout, si defectueux,<br />

que la troupe elle−meme allait ailleurs. Pendant pres de vingt minutes, il avait ainsi deprecie l'etablissement,<br />

etourdissant son oncle, le stupefiant de son entente de la partie, de sa science a marchander, des dons<br />

extraordinaires qu'il montrait pour son jeune age. Ah! le gaillard! en voila un qui aurait l'oeil et la poigne! et<br />

Nenesse avait dit qu'il reviendrait, accompagne de son pere, apres le dejeuner, afin de causer serieusement.<br />

En rentrant, M. Charles s'en entretint avec madame Charles, qui, a son tour, s'emerveilla de trouver tant de<br />

moyens chez ce garcon. Si seulement leur gendre Vaucogne avait eu la moitie de ces capacites! Il fallait jouer<br />

serre, pour ne pas etre fichu dedans par le jeune homme. C'etait la dot d'Elodie qu'il s'agissait de sauver du<br />

desastre. Au fond de leur crainte cependant, il y avait une sympathie invincible, un desir de voir le 19, meme a<br />

perte, aux mains habiles et vigoureuses d'un maitre qui lui rendrait son eclat. Aussi, lorsque les Delhomme<br />

entrerent, les accueillirent−ils d'une facon tres cordiale.<br />

—Vous allez prendre du cafe, hein!... Elodie, offre le sucre.<br />

Jean avait recule sa chaise, tous se trouverent assis autour de la table. Rase de frais, la face cuite et immobile,<br />

Delhomme ne lachait pas un mot, dans une reserve diplomatique; tandis que Nenesse, en toilette, souliers<br />

vernis, gilet a palmes d'or, cravate mauve, se montrait tres a l'aise, souriant, seduisant. Lorsque Elodie,<br />

rougissante, lui presenta le sucrier, il la regarda, il chercha une galanterie.<br />

—Ils sont bien gros, ma cousine, vos morceaux de sucre.<br />

Elle rougit davantage, elle ne sut que repondre, tant cette parole d'un garcon aimable la bouleversait dans son<br />

innocence.<br />

Le matin, Nenesse, en finaud, n'avait risque que la moitie de l'affaire. Depuis l'enterrement, ou il avait apercu<br />

Elodie, son plan s'etait elargi tout d'un coup: non seulement il aurait le 19, mais il voulait aussi la jeune fille.<br />

L'operation etait simple. D'abord, rien a debourser, il ne la prendrait qu'avec la maison en dot; ensuite, si elle<br />

ne lui apportait actuellement que cette dot compromise, plus tard elle heriterait des Charles, une vraie fortune.<br />

Et c'etait pourquoi il avait amene son pere, resolu a faire immediatement sa demande.<br />

Un instant, on parla de la temperature qui etait vraiment douce pour la saison. Les poiriers avaient bien fleuri,<br />

mais la fleur tiendrait−elle! On finissait de boire le cafe, la conversation tomba.<br />

—Ma mignonne, dit brusquement M. Charles a Elodie, tu devrais aller faire un tour au jardin.<br />

Il la renvoyait, ayant hate de vider le sac aux Delhomme.<br />

—Pardon, mon oncle, interrompit Nenesse, si c'etait un effet de votre bonte que ma cousine restat avec nous...<br />

J'ai a vous parler de quelque chose qui l'interesse; et, n'est−ce pas, vaut toujours mieux terminer les affaires<br />

d'un coup que de s'y reprendre a deux fois.<br />

Alors, se levant, il fit la demande, en garcon bien eleve.<br />

—C'est donc pour vous dire que je serais tres heureux d'epouser ma cousine, si vous y consentiez, et si elle y<br />

consentait elle−meme.<br />

V 261

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