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Émile Zola - La Terre

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alle jusqu'au bout, sans omettre une seule des fois qu'il les avait surpris, methodique, le coeur peu a peu<br />

soulage, vide de sa longue rancune. Jacqueline ignorait cette delation, Hourdequin s'etant sauve a travers<br />

champs, avec la crainte de l'etrangler, s'il la revoyait; ensuite, au retour, il avait simplement renvoye Tron,<br />

sous le pretexte qu'il laissait la cour dans un etat de salete epouvantable. Alors, elle avait bien eu un soupcon;<br />

mais elle ne s'etait pas risquee a defendre le vacher, obtenant qu'il coucherait encore cette nuit−la, comptant<br />

arranger l'affaire le lendemain, pour le garder. Et tout cela, a cette heure, restait trouble, dans le coup du destin<br />

qui detruisait ses dix annees de laborieux calculs.<br />

Jean etait seul avec elle dans la cuisine, lorsque Tron parut. Elle ne l'avait pas revu depuis la veille, les autres<br />

domestiques erraient par la ferme, inoccupes, anxieux. Quand elle apercut le Percheron, cette grande bete a la<br />

chair d'enfant, elle eut un cri, rien qu'a la facon oblique dont il entrait.<br />

—C'est toi qui as ouvert la trappe!<br />

Brusquement, elle comprenait tout, et lui etait bleme, les yeux ronds, les levres tremblantes.<br />

—C'est toi qui as ouvert la trappe et qui l'as appele, pour qu'il fit la culbute!<br />

Saisi de cette scene, Jean s'etait recule. Ni l'un ni l'autre, d'ailleurs, ne semblaient plus le savoir la, dans la<br />

violence des passions qui les agitaient. Tron, sourdement, la tete basse, avouait.<br />

—Oui, c'est moi... Il m'avait renvoye, je ne t'aurais plus vue, ca ne se pouvait pas... Et puis, deja j'avais songe<br />

que, s'il mourait, nous serions libres d'etre ensemble.<br />

Elle l'ecoutait, raidie, dans une tension nerveuse qui la soulevait toute. Lui, en grognements satisfaits, lachait<br />

ce qui avait roule au fond de son crane dur, une jalousie humble et feroce de serviteur contre le maitre obei, un<br />

plan sournois de crime pour s'assurer la possession de cette femme, qu'il voulait a lui seul.<br />

—Le coup fait, j'ai cru que tu serais contente... Si je ne t'en ai rien dit, c'etait dans l'idee de ne pas te causer de<br />

la gene... Et alors, maintenant qu'il n'est plus la, je viens te prendre, pour nous en aller et nous marier.<br />

Jacqueline, la voix brutale, eclata.<br />

—Toi! mais je ne t'aime pas, je ne te veux pas!... Ah! tu l'as tue pour m'avoir! Il faut que tu sois plus bete<br />

encore que je ne pensais. Une betise pareille, avant qu'il m'epouse et qu'il fasse le testament!... Tu m'as ruinee,<br />

tu m'as ote le pain de la bouche. C'est a moi que tu as casse les os, hein! brute, comprends−tu?... Et tu crois<br />

que je vais te suivre! Dis donc, regarde−moi bien, est−ce que tu te fous de moi?<br />

A son tour, il l'ecoutait, beant, dans la stupeur de cet accueil inattendu.<br />

—Parce que j'ai plaisante, parce que nous avons pris du plaisir ensemble, tu t'imagines que tu vas m'embeter<br />

toujours... Nous marier? ah, non! ah, non! j'en choisirais un plus malin, si j'avais l'envie d'un homme... Tiens!<br />

va−t'en, tu me rends malade... Je ne t'aime pas, je ne te veux pas. Va−t'en!<br />

Une colere le secoua. Quoi donc? il aurait tue pour rien. Elle etait a lui, il l'empoignerait par le cou et<br />

l'emporterait.<br />

—T'es une fiere gueuse, gronda−t−il. Ca n'empeche que tu vas venir. Autrement, je te regle ton compte,<br />

comme a l'autre.<br />

<strong>La</strong> Cognette marcha sur lui, les poings serres.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

V 259

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