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Émile Zola - La Terre

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son elan, tapant de la tete ainsi qu'un belier, l'envoyait s'etaler dehors, sur la route.<br />

Ils resterent la, ils boucherent la porte de leur corps, clamant:<br />

—Voleur qui a vole notre argent!... Voleur! voleur! voleur!<br />

Jean, apres s'etre ramasse, repondit, dans un begayement de souffrance et de colere:<br />

—C'est bon, j'irai chez le juge, a Chateaudun, et il me fera rentrer chez moi, et je vous poursuivrai en justice<br />

pour des dommages−interets.... Au revoir!<br />

Il eut un dernier geste de menace, il disparut, en montant vers la plaine. Quand la famille avait vu qu'on se<br />

tapait, elle s'en etait prudemment allee, a cause des proces possibles.<br />

Alors, les Buteau eurent un cri sauvage de victoire. Enfin, ils l'avaient donc foutu a la rue, l'etranger,<br />

l'usurpateur! Et ils y etaient rentres, dans la maison, ils disaient bien qu'ils y rentreraient! <strong>La</strong> maison! la<br />

maison! a cette idee qu'ils s'y retrouvaient, dans la vieille maison patrimoniale, batie jadis par un ancetre, ils<br />

furent pris d'un coup de folie joyeuse, ils galoperent au travers des pieces, gueulerent a s'etrangler, pour le<br />

plaisir de gueuler chez eux. Les enfants, <strong>La</strong>ure et Jules, accoururent, battirent du tambour sur une vieille<br />

poele. Seul, le pere Fouan, reste sur le banc de pierre, les regardait passer de ses yeux troubles, sans rire.<br />

Brusquement, Buteau s'arreta.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Nom de Dieu! il a file par le haut, pourvu qu'il ne soit pas alle faire du mal a la terre!<br />

C'etait absurde, mais ce cri de passion l'avait bouleverse. <strong>La</strong> pensee de la terre lui revenait, dans une secousse<br />

de jouissance inquiete. Ah! la terre, elle le tenait aux entrailles plus encore que la maison! ce morceau de terre<br />

de la−haut qui comblait le trou entre ses deux troncons, qui lui retablissait sa parcelle de trois hectares, si<br />

belle, que Delhomme lui−meme n'en possedait pas une semblable? Toute sa chair s'etait mise a trembler de<br />

joie comme au retour d'une femme desiree et qu'on a crue perdue. Un besoin immediat de la revoir, dans sa<br />

crainte folle que l'autre pouvait l'emporter, lui tourna la tete. Il partit en courant, en grognant qu'il souffrirait<br />

trop, tant qu'il ne saurait pas.<br />

Jean, en effet, etait monte en plaine, afin d'eviter le village; et, par habitude, il suivait le chemin de la<br />

Borderie. Lorsque Buteau l'apercut, justement il passait le long de la piece des Cornailles; mais il ne s'arreta<br />

pas, il ne jeta, a ce champ tant dispute, qu'un regard de defiance et de tristesse, comme s'il l'accusait de lui<br />

avoir porte malheur; car un souvenir venait de mouiller ses yeux, celui du jour ou il avait cause avec Francoise<br />

pour la premiere fois: n'etait−ce pas aux Cornailles que la Coliche l'avait trainee, gamine encore, dans une<br />

luzerniere? Il s'eloigna d'un pas ralenti, la tete basse, et Buteau qui le guettait, mal rassure, le soupconnant<br />

d'un mauvais coup, put s'approcher a son tour de la piece. Debout, il la contempla longuement: elle etait<br />

toujours la, elle n'avait pas l'air de se mal porter, personne ne lui avait fait du mal. Son coeur se gonflait, allait<br />

vers elle, dans cette idee qu'il la possedait de nouveau, a jamais. Il s'accroupit, il en prit des deux mains une<br />

motte, l'ecrasa, la renifla, la laissa couler pour en baigner ses doigts. C'etait bien sa terre, et il retourna chez<br />

lui, chantonnant, comme ivre de l'avoir respiree.<br />

Cependant, Jean marchait, les yeux vagues, sans savoir ou ses pieds le conduisaient. D'abord, il avait voulu<br />

courir a Cloyes, chez M. Baillehache, pour se faire reintegrer dans la maison. Ensuite, sa colere s'etait calmee.<br />

S'il y rentrait aujourd'hui, demain il lui en faudrait sortir. Alors, pourquoi ne pas avaler ce gros chagrin tout de<br />

suite, puisque la chose etait faite? D'ailleurs, ces canailles avaient raison: pauvre il etait venu, pauvre il s'en<br />

allait. Mais, surtout, ce qui lui cassait la poitrine, ce qui le decidait a se resigner, c'etait de se dire que la<br />

volonte de Francoise en mourant avait du etre que les choses fussent ainsi, du moment ou elle ne lui avait pas<br />

V 257

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