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Émile Zola - La Terre

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Et les Buteau, qui avaient compte sur le respect du a ce cercueil, s'installerent. Ils ne dirent pas qu'ils<br />

reprenaient possession de la maison; seulement, ils le faisaient, d'une facon naturelle, comme si la chose allait<br />

de soi, a present que Francoise n'etait plus la. Elle y etait bien encore, mais emballee pour le grand depart, pas<br />

plus genante qu'un meuble. Lise, apres s'etre assise un instant, s'oublia jusqu'a ouvrir les armoires, a s'assurer<br />

que les objets n'avaient pas bouge de place, pendant son absence. Buteau rodait deja dans l'ecurie et dans<br />

l'etable, en homme entendu qui donne le coup d'oeil du maitre. Le soir, l'un et l'autre semblerent tout a fait<br />

rentres chez eux, et il n'y avait que le couvercle qui les embarrassat, maintenant, dans la chambre dont il<br />

barrait le milieu. Ce n'etait, d'ailleurs, qu'une nuit a patienter: le plancher serait enfin libre de bonne heure, le<br />

lendemain.<br />

Jean pietinait, au milieu de la famille, l'air perdu, ne sachant que faire de ses membres. D'abord, la maison, les<br />

meubles, le corps de Francoise avaient paru a lui. Mais, a mesure que les heures s'ecoulaient, tout cela se<br />

detachait de sa personne, semblait passer aux autres. Quand la nuit tomba, personne ne lui adressait plus la<br />

parole, il n'etait plus la qu'un intrus tolere. Jamais il n'avait eu si penible la sensation d'etre un etranger, de<br />

n'avoir pas un des siens, parmi ces gens, tous allies, tous d'accord, des qu'il s'agissait de l'exclure. Jusqu'a sa<br />

pauvre femme morte qui cessait de lui appartenir, au point que Fanny, comme il parlait de veiller pres du<br />

corps, avait voulu le renvoyer, sous le pretexte qu'on etait trop de monde. Il s'etait obstine pourtant, il avait<br />

meme eu l'idee de prendre l'argent dans la commode, les cent vingt−sept francs, pour etre certain qu'ils ne<br />

s'envoleraient pas. Lise, des son arrivee, en ouvrant le tiroir, devait les avoir vus, ainsi que la feuille de papier<br />

timbre, car elle s'etait mise a chuchoter vivement avec la Grande; et c'etait depuis lors, qu'elle se reinstallait si<br />

a l'aise, certaine qu'il n'existait point de testament. L'argent, elle ne l'aurait toujours pas. Dans l'apprehension<br />

du lendemain, Jean se disait qu'il tiendrait au moins ca. Il avait ensuite passe la nuit sur une chaise.<br />

Le lendemain, l'enterrement eut lieu de bonne heure, a neuf heures; et l'abbe Madeline, qui partait le soir, put<br />

dire encore la messe et aller jusqu'a la fosse; mais il y perdit connaissance, on dut l'emporter. Les Charles<br />

etaient venus, ainsi que Delhomme et Nenesse. Ce fut un enterrement convenable, sans rien de trop. Jean<br />

pleurait, Buteau s'essuyait les yeux. Au dernier moment, Lise avait declare que ses jambes se cassaient, que<br />

jamais elle n'aurait la force d'accompagner le corps de sa pauvre soeur. Elle etait donc restee seule dans la<br />

maison, tandis que la Grande, Fanny, la Frimat, la Becu, d'autres voisines, suivaient. Et, au retour, tout ce<br />

monde, s'attardant expres sur la place de l'Eglise, assista enfin a la scene prevue, attendue depuis la veille.<br />

Jusque−la, les deux hommes, Jean et Buteau, avaient evite de se regarder, dans la crainte qu'une bataille ne<br />

s'engageat sur le cadavre a peine refroidi de Francoise. Maintenant, tous les deux se dirigeaient vers la<br />

maison, du meme pas resolu; et, de biais, ils se devisageaient. On allait voir. Du premier coup d'oeil, Jean<br />

comprit pourquoi Lise n'etait pas allee au convoi. Elle avait voulu rester seule, afin d'emmenager, en gros du<br />

moins. Une heure venait de lui suffire, jetant les paquets par−dessus le mur de la Frimat, brouettant ce qui<br />

aurait pu se casser. D'une claque enfin, elle avait ramene dans la cour <strong>La</strong>ure et Jules, qui s'y battaient deja,<br />

tandis que le pere Fouan, pousse aussi par elle, soufflait sur le banc. <strong>La</strong> maison etait reconquise.<br />

—Ou vas−tu? demanda brusquement Buteau, en arretant Jean devant la porte.<br />

—Je rentre chez moi.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Chez toi! ou ca, chez toi?... Pas ici, toujours. Ici, nous sommes chez nous.<br />

Lise etait accourue; et, les poings sur les hanches, elle gueulait, plus violente, plus injurieuse que son homme.<br />

—Hein? quoi? qu'est−ce qu'il veut, ce pourri?... Y avait assez longtemps qu'il empoisonnait ma pauvre soeur,<br />

a preuve que, sans ca, elle ne serait pas morte de son accident, et qu'elle a montre sa volonte, en ne lui rien<br />

laissant de son bien.... Tape donc dessus, Buteau! Qu'il ne rentre pas, il nous foutrait la maladie!<br />

V 255

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