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Émile Zola - La Terre

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—Qu'est−ce que tu veux y foutre? il est pris!<br />

Et, restes en arriere, sur la route deserte, tous deux revinrent peniblement, l'homme se rappelant sa dure vie de<br />

soldat, la femme tournant sa colere contre le bon Dieu, qu'elle etait allee prier deux fois et qui ne l'avait pas<br />

ecoutee.<br />

Nenesse, lui, portait a son chapeau un superbe 214, peinturlure de rouge et de bleu. C'etait un des plus hauts,<br />

et il triomphait de sa chance, brandissant sa canne, menant le choeur sauvage des autres, en battant la mesure.<br />

Quand elle vit le numero, Fanny, au lieu de se rejouir, eut un cri de profond regret: ah! si l'on avait su, on<br />

n'aurait pas verse mille francs a la loterie de M. Baillehache. Mais, tout de meme, elle et Delhomme<br />

embrasserent leur fils, comme s'il venait d'echapper a un gros peril.<br />

—<strong>La</strong>chez−moi donc, criait−il, c'est emmerdant!<br />

<strong>La</strong> bande, dans son elan brutal, continuait sa marche, a travers le village revolutionne. Et les parents ne se<br />

risquaient plus, certains d'etre envoyes au diable. Tous ces bougres revenaient aussi mal embouches, et ceux<br />

qui partaient, et ceux qui ne partaient pas. D'ailleurs, ils n'auraient rien su dire, les yeux hors de la tete, saouls<br />

d'avoir gueule autant que d'avoir bu. Un petit rigolo qui jouait de la trompette avec son nez, avait justement<br />

tire mauvais; tandis que deux autres, palots, les yeux battus, etaient surement parmi les bons. L'enrage<br />

tambour, a leur tete, les aurait menes au fond de l'Aigre, qu'ils y auraient tous fait la culbute.<br />

Enfin, devant la mairie, Delphin rendit le drapeau.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Ah! nom de Dieu, j'en ai assez, de cette foutue mecanique qui m'a porte malheur!<br />

Il saisit le bras de Nenesse, il l'emmena, pendant que les autres envahissaient le cabaret de Lengaigne, au<br />

milieu des parents et des amis, qui finirent par savoir. Macqueron apparut sur sa porte, navre de ce que la<br />

recette serait pour son rival.<br />

—Viens, repeta Delphin, d'une voix breve. Je vas te montrer quelque chose de drole.<br />

Nenesse le suivit. On avait le temps de retourner boire. Le sacre tambour ne leur cassait plus les oreilles, ca<br />

les reposait, de s'en aller ainsi tous les deux par la route vide, peu a peu noire de tenebres. Et, le camarade se<br />

taisant, enfonce dans des reflexions qui ne devaient pas etre gaies, Nenesse se remit a lui parler d'une grosse<br />

affaire. L'avant−veille, a Chartres, etant alle pour son plaisir rue aux Juifs, il avait appris que Vaucogne, le<br />

gendre des Charles, voulait vendre la maison. Ca ne pouvait plus marcher, avec un rossard pareil, que ses<br />

femmes mangeaient. Mais quelle maison a relever, quel beurre a y battre, pour un garcon pas feignant, pas<br />

bete, les bras solides, au courant du negoce! <strong>La</strong> chose tombait d'autant mieux que, lui, chez son restaurateur,<br />

s'occupait du bal, ou il avait l'oeil a la decence des filles, fallait voir! Alors, le coup etait d'effrayer les Charles,<br />

de leur montrer le 19 a deux doigts d'etre supprime par la police, tant il s'y passait des choses malpropres, et<br />

de l'avoir pour un morceau de pain. Hein? ca vaudrait mieux que de cultiver la terre, il serait monsieur tout de<br />

suite!<br />

Delphin, qui ecoutait confusement, absorbe, eut un sursaut, quand l'autre lui allongea une bourrade de malin<br />

dans les cotes.<br />

—Ceux qui ont de la chance ont de la chance, murmura−t−il. Toi, t'es fait pour donner de l'orgueil a ta mere.<br />

Et il retomba dans son silence, pendant que Nenesse, en garcon entendu, expliquait deja les ameliorations qu'il<br />

apporterait au 19, si ses parents lui faisaient les avances necessaires. Il etait un peu jeune, mais il se sentait la<br />

vraie vocation. Justement, il venait d'apercevoir la Trouille, filant pres d'eux dans l'ombre de la route, courant<br />

IV 247

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