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Émile Zola - La Terre

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En effet, depuis deux ans et demi qu'il desservait cette paroisse, l'abbe Madeline ne faisait que decliner. <strong>La</strong><br />

nostalgie, le regret desespere de ses montagnes d'Auvergne l'avait ronge un peu chaque jour, en face de cette<br />

plate Beauce, dont le deroulement a l'infini noyait son coeur de tristesse. Pas un arbre, pas un rocher, des<br />

mares d'eau saumatre, au lieu des eaux vives qui, la−haut, ruissellent en cascades. Ses yeux palissaient, il<br />

s'etait decharne davantage, on disait qu'il s'en allait de la poitrine. Encore s'il avait trouve quelque consolation<br />

pres de ses paroissiennes! Mais, au sortir de son ancienne cure si croyante, ce nouveau pays gate par<br />

l'irreligion, respectueux des seules pratiques exterieures, le bouleversait dans la timidite inquiete de son ame.<br />

Les femmes l'etourdissaient de cris et de querelles, abusaient de sa faiblesse, au point de diriger le culte a sa<br />

place, ce dont il restait effare, plein de scrupules, toujours sous la crainte de pecher, sans le vouloir. Un<br />

dernier coup lui etait reserve: le jour de la Noel, une des filles de la Vierge fut prise des douleurs de<br />

l'enfantement dans l'eglise. Et, depuis ce scandale, il trainait, on s'etait resigne a le remporter en Auvergne,<br />

mourant.<br />

—Nous v'la encore sans pretre, alors, dit la Frimat. Qui sait si l'abbe Godard voudra revenir?<br />

—Ah! le bourru! s'ecria la Grande, il en creverait de mauvais sang!<br />

Mais l'entree de Fanny les fit taire. De toute la famille, elle etait la seule qui fut deja venue la veille; et elle<br />

revenait, pour avoir des nouvelles. Jean, de sa main tremblante, se contenta de lui montrer Francoise. Un<br />

silence apitoye regna. Puis, Fanny baissa la voix pour savoir si la malade avait demande sa soeur. Non, elle<br />

n'en ouvrait pas la bouche, comme si Lise n'eut point existe. C'etait bien surprenant, car on a beau etre<br />

brouille, la mort est la mort: quand donc ferait−on la paix, si on ne la faisait pas avant de partir?<br />

<strong>La</strong> Grande fut d'avis qu'on devait questionner Francoise la−dessus. Elle se leva, elle se pencha.<br />

—Dis, ma petite, et Lise?<br />

<strong>La</strong> mourante ne bougea pas. Il n'y eut, sur ses paupieres closes, qu'un tressaillement a peine visible.<br />

—Elle attend peut−etre qu'on aille la chercher. J'y vais.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Alors, toujours sans ouvrir les yeux, Francoise dit non, en roulant la tete sur l'oreiller, doucement. Et Jean<br />

voulut qu'on respectat sa volonte. Les trois femmes se rassirent. L'idee que Lise ne venait pas d'elle−meme,<br />

maintenant, les etonnait. Il y avait souvent bien de l'obstination dans les familles.<br />

—Ah! on a tant de contrarietes! reprit Fanny avec un soupir. Ainsi, depuis ce matin, je ne vis plus, moi, a<br />

cause de ce tirage au sort; et ce n'est guere raisonnable, car je sais pourtant que Nenesse ne partira pas.<br />

—Oui, oui, murmura la Frimat, ca emotionne tout de meme.<br />

De nouveau, la mourante fut oubliee. On parlait de la chance, des garcons qui partiraient, des garcons qui ne<br />

partiraient pas. Il etait trois heures, et bien qu'on les attendit, au plus tot, vers cinq heures, des renseignements<br />

deja circulaient, venus de Cloyes on ne savait comment, par cette sorte de telegraphie aerienne qui vole de<br />

village en village. Le fils aux Briquet avait le numero 13: pas de chance! Celui des Couillot etait tombe sur le<br />

206, un bon, pour sur! Mais on ne s'entendait pas sur les autres, les affirmations etaient contradictoires, ce qui<br />

portait au comble l'emotion. Rien sur Delphin, rien sur Nenesse.<br />

—Ah! j'en ai le coeur qui se decroche, est−ce bete! repeta Fanny.<br />

On appela la Becu, qui passait. Elle etait retournee a l'eglise, elle errait comme un corps sans ame; et, son<br />

angoisse devenait si forte, qu'elle ne s'arreta meme pas a causer.<br />

IV 245

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