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Émile Zola - La Terre

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Lise, a la volee, repondit par une gifle. Cette brutalite affola Francoise qui se rua sur elle. Les mains au fond<br />

des poches, Buteau ricanait, sans intervenir, en coq vaniteux pour lequel deux poules se battent. Et la bataille<br />

continua, enragee, scelerate, les bonnets arraches, les chairs meurtries, chacune fouillant des doigts ou elle<br />

pourrait atteindre la vie de l'autre. Toutes deux s'etaient bousculees, etaient revenues dans la luzerne. Mais<br />

Lise poussa un hurlement. Francoise lui enfoncait les ongles dans le cou; et, alors, elle vit rouge, elle eut la<br />

pensee nette, aigue, de tuer sa soeur. A gauche de celle−ci, elle avait apercu la faux, tombee le manche en<br />

travers d'une touffe de chardons, la pointe haute. Ce fut comme dans un eclair. Elle culbuta Francoise, de<br />

toute la force de ses poignets. Trebuchante, la malheureuse tourna, s'abattit a gauche, en jetant un cri terrible.<br />

<strong>La</strong> faux lui entrait dans le flanc.<br />

—Nom de Dieu! nom de Dieu! begaya Buteau.<br />

Et ce fut tout. Une seconde avait suffi, l'irreparable etait fait. Lise, beante de voir se realiser si vite ce qu'elle<br />

avait voulu, regardait la robe coupee se tacher d'un flot de sang. Etait−ce donc que le fer avait penetre jusqu'au<br />

petit, pour que ca coulat si fort? Derriere la meule, la face pale du vieux Fouan s'allongeait de nouveau. Il<br />

avait vu le coup; ses yeux troubles clignotaient.<br />

Francoise ne bougeait plus, et Buteau, qui s'approchait, n'osa la toucher. Un souffle de vent passa, le glaca<br />

jusqu'aux os, lui herissa le poil, dans un frisson d'epouvante.<br />

—Elle est morte, filons, nom de Dieu!<br />

Il avait saisi la main de Lise; ils furent comme emportes, le long de la route deserte. Le ciel bas et sombre<br />

semblait leur tomber sur le crane; leur galop faisait derriere eux un bruit de foule, lancee a leur poursuite; et<br />

ils couraient par la plaine vide et rase, lui ballonne dans sa blouse, elle echevelee, son bonnet au poing, tous<br />

les deux repetant les memes mots, grondant comme des betes traquees:<br />

—Elle est morte, nom de Dieu!... Filons, nom de Dieu!<br />

Leurs enjambees s'allongeaient, ils n'articulaient plus, grognaient des sons involontaires, qui cadencaient leur<br />

fuite, un reniflement ou l'on aurait distingue encore:<br />

—Morte, nom de Dieu!... Morte, nom de Dieu!... Morte, nom de Dieu!<br />

Ils disparurent.<br />

Quelques minutes plus tard, lorsque Jean revint, au trop de son cheval, ce fut une grande douleur.<br />

—Quoi donc? qu'est−il arrive?<br />

—Francoise, qui avait rouvert les paupieres, ne remuait toujours pas. Elle le regardait longuement, de ses<br />

grands yeux douloureux; et elle ne repondait point, comme tres loin de lui deja, songeant a des choses.<br />

—Tu es blessee, tu as du sang, reponds, je t'en prie!<br />

Il se tourna vers le pere Fouan, qui s'approchait.<br />

—Vous etiez la, que s'est−il passe?<br />

Alors, Francoise parla, d'une voix lente.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

III 240

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