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Émile Zola - La Terre

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—On te parle, cria Lise hors d'elle. Viens voir la borne, si tu crois que nous mentons.... Faut se rendre compte<br />

du dommage.<br />

Et, devant le silence, le dedain affecte de sa soeur, elle perdit toute mesure, s'avanca sur elle, les poing fermes.<br />

—Dis donc, est−ce que tu te fous de nous? Je suis ton ainee, tu me dois le respect. Je saurai bien te faire<br />

demander pardon de toutes les cochonneries que tu m'as faites.<br />

Elle etait devant elle, enragee de rancune, aveuglee de sang.<br />

—A genoux, a genoux, garce!<br />

Toujours muette, Francoise, comme le soir de l'expulsion, lui cracha au visage. Et Lise hurlait, lorsque Buteau<br />

intervint, en l'ecartant violemment.<br />

—<strong>La</strong>isse, c'est mon affaire.<br />

Ah! oui, elle le laissait! Il pouvait bien la tordre et lui casser l'echine, ainsi qu'un mauvais arbre; il pouvait<br />

bien en faire de la patee pour les chiens, s'en servir comme d'une trainee: ce n'etait pas elle qui l'empecherait<br />

elle l'aiderait plutot! Et, a partir de ce moment, toute droite, elle guetta, veillant a ce qu'on ne le derangeat<br />

point. Autour d'eux, sous le ciel morne, la pleine immense et grise s'etendait, sans une ame.<br />

—Vas−y donc, il n'y a personne!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Buteau marchait sur Francoise, et celle−ci, a le voir, la face dure, les bras raidis, crut qu'il venait la battre. Elle<br />

n'avait pas lache sa faux, mais elle tremblait; deja, d'ailleurs, il en tenait le manche; il la lui arracha, la jeta<br />

dans la luzerne. Pour lui echapper, elle n'eut plus qu'a s'en aller a reculons, elle passa ainsi dans le champ<br />

voisin, se dirigea vers la meule qui s'y trouvait, comme si elle eut espere s'en faire un rempart. Lui, ne se hatait<br />

point, semblait egalement la pousser la, les bras peu a peu ouverts, la face detendue par un rire silencieux qui<br />

decouvrait ses gencives. Et, tout d'un coup, elle comprit qu'il ne voulait pas la battre. Non il voulait autre<br />

chose, la chose qu'elle lui avait refusee si longtemps. Alors, elle trembla davantage, quand elle sentit sa force<br />

l'abandonner, elle vaillante, qui tapait dur autrefois, en jurant que jamais il n'y arriverait. Pourtant, elle n'etait<br />

plus une gamine, elle avait eu vingt−trois ans a la Saint−Martin, une vraie femme a cette heure, la bouche<br />

rouge encore et les yeux larges, pareils a des ecus. C'etait en elle une sensation si tiede et si molle, que ses<br />

membres lui semblaient s'en engourdir.<br />

Buteau, la forcant toujours a reculer, parla enfin, d'une voix basse et ardente:<br />

—Tu sais bien que ce n'est pas fini entre nous, que je te veux, que je t'aurai!<br />

Il avait reussi a l'acculer contre la meule, il la saisit aux epaules, la renversa. Mais, a ce moment, elle se<br />

debattit, eperdue, dans l'habitude de sa longue resistance. Lui, la maintenait, en evitant les coups de pied.<br />

—Puisque t'es grosse a present, foutue bete! qu'est−ce que tu risques?... Je n'en ajouterai pas un autre, va, pour<br />

sur!<br />

Elle eclata en larmes, elle eut comme une crise, ne se defendant plus, les bras tordus, les jambes agitees de<br />

secousses nerveuses; et il ne pouvait la prendre, il etait jete de cote, a chaque nouvelle tentative. Une colere le<br />

rendit brutal, il se tourna vers sa femme.<br />

III 238

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