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Émile Zola - La Terre

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Mais elle eut son roucoulement de gorge, elle le ramena vite au sujet qui l'interessait.<br />

—Ta femme est enceinte, vous vous en donnez, hein?... Dis donc, est−ce que ca va avec elle? est−ce que c'est<br />

aussi gentil qu'avec moi?<br />

Il devint tres rouge, elle s'en amusa, enchantee de le bouleverser de la sorte. Puis, elle parut s'assombrir, sous<br />

une pensee brusque.<br />

—Tu sais, moi, j'ai eu bien des ennuis. Heureusement que c'est passe et que j'en suis sortie a mon avantage.<br />

En effet, un soir, Hourdequin avait vu tomber a la Borderie son fils Leon, le capitaine, qui ne s'y etait pas<br />

montre depuis des annees; et, des le premier jour, ce dernier, venu pour savoir, fut renseigne, lorsqu'il eut<br />

constate que Jacqueline occupait la chambre de sa mere. Un instant, elle trembla, car l'ambition l'avait prise de<br />

se faire epouser et d'heriter de la ferme. Mais le capitaine commit la faute de jouer le vieux jeux: il voulut<br />

debarrasser son pere en se faisant surprendre par lui, couche avec elle. C'etait trop simple. Elle etala une vertu<br />

farouche, elle poussa des cris, versa des larmes, declara a Hourdequin qu'elle s'en allait, puisqu'elle n'etait plus<br />

respectee dans sa maison. Il y eut une scene atroce entre les deux hommes, le fils essaya d'ouvrir les yeux du<br />

pere, ce qui acheva de gater les choses. Deux heures plus tard, il repartit, il cria sur le seuil qu'il aimait mieux<br />

tout perdre, et que, s'il rentrait jamais, ce serait pour faire sortir cette catin a coups de botte.<br />

L'erreur de Jacqueline, dans son triomphe, fut alors de croire qu'elle pouvait tout risquer. Elle signifia a<br />

Hourdequin qu'apres des vexations pareilles, dont le pays clabaudait, elle se devait de le quitter, s'il ne<br />

l'epousait pas. Meme elle commenca a faire sa malle. Mais le fermier, encore bouleverse de sa rupture avec<br />

son fils, d'autant plus furieux qu'il se donnait secretement tort et que son coeur saignait, faillit l'assommer<br />

d'une paire de gifles; et elle ne parla plus de partir, elle comprit qu'elle s'etait trop pressee. Maintenant, du<br />

reste, elle etait la maitresse absolue, couchant ouvertement dans la chambre conjugale, mangeant a part avec<br />

le maitre, commandant, reglant les comptes, ayant les clefs de la caisse, si despotique, qu'il la consultait sur<br />

les decisions a prendre. Il declinait, tres vieilli, elle esperait bien vaincre ses revoltes dernieres, l'amener au<br />

mariage, quand elle aurait acheve de l'user. En attendant, comme il avait jure de desheriter son fils, dans le<br />

coup de sa colere, elle travaillait pour le decider a un testament en sa faveur; et elle se croyait deja proprietaire<br />

de la ferme, car elle lui en avait arrache la promesse, un soir, au lit.<br />

—Depuis des annees que je m'esquinte a l'amuser, conclut−elle, tu comprends que ce n'est pas pour ses beaux<br />

yeux.<br />

Jean ne put s'empecher de rire. Tout en parlant d'un geste machinal, elle avait enfonce ses bras nus dans le ble;<br />

et elle les en retirait, les y replongeait, poudrant sa peau d'une poudre fine et douce. Il regardait ce jeu, il fit a<br />

voix haute une reflexion qu'il regretta ensuite.<br />

—Et, avec Tron, ca va toujours?<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Elle ne parut pas blessee, elle parla librement comme a un vieil ami.<br />

—Ah! je l'aime bien, cette grande bete, mais il n'est guere raisonnable, vrai!... Est−ce qu'il n'est pas jaloux!<br />

Oui, il me fait des scenes, il ne me passe que le maitre, et encore! Je crois qu'il vient ecouter la nuit si nous<br />

dormons.<br />

De nouveau, Jean s'egayait. Mais elle ne riait pas, elle, ayant une peur secrete de ce colosse, qu'elle disait<br />

sournois et faux, ainsi, que tous les Porcherons. Il l'avait menacee de l'etrangler, si elle le trompait. Aussi<br />

n'allait−elle plus avec lui qu'en tremblant, malgre le gout qu'elle gardait pour ses gros membres, elle toute<br />

fluette qu'il aurait ecrasee entre son pouce et ses quatre doigts.<br />

III 235

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