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Émile Zola - La Terre

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maison, le sentiment qu'il demeurait un etranger pour sa femme; un homme d'un autre pays, pousse ailleurs,<br />

on ne savait ou, un homme qui ne pensait pas comme ceux de Rognes, qui lui paraissait bati differemment,<br />

sans lien possible avec elle, bien qu'il l'eut rendue grosse. Apres le mariage, exasperee contre les Buteau, elle<br />

avait, un samedi, rapporte de Cloyes une feuille de papier timbre, afin de tout laisser par testament a son mari,<br />

car elle s'etait fait expliquer comment la maison et la terre retourneraient a sa soeur si elle mourait avant<br />

d'avoir un enfant, l'argent et les meubles entrant seuls dans la communaute; puis, sans lui donner aucune<br />

explication a ce sujet, elle semblait s'etre ravisee, la feuille etait encore dans la commode, toute blanche; et il<br />

en avait ressenti un grand chagrin secret, non qu'il fut interesse, mais il voyait la un manque d'affection.<br />

D'ailleurs, aujourd'hui que le petit allait naitre, a quoi bon un testament? Il n'en avait pas moins le coeur gros,<br />

chaque fois qu'il ouvrait la commode et qu'il apercevait le papier timbre, devenu inutile.<br />

Jean s'arreta, laissa souffler son cheval. Lui−meme secouait son etourdissement, dans l'air glace. D'un lent<br />

regard, il regarda l'horizon vide, la plaine immense, ou d'autres attelages, tres loin, se noyaient sous le gris du<br />

ciel. Il fut surpris de reconnaitre le pere Fouan, qui revenait de Rognes par le chemin neuf, cedant encore a<br />

quelque souvenir, a un besoin de revoir un coin de champ. Puis, il baissa la tete, il s'absorba une minute dans<br />

la vue du sillon ouvert, de la terre eventree a ses pieds: elle etait jaune et forte au fond, la motte retournee<br />

avait apporte a la lumiere comme une chair rajeunie, tandis que, dessous, le fumier s'enterrait en un lit de<br />

fecondation grasse; et ses reflexions devenaient confuses, la drole d'idee qu'on avait eue de fouiller ainsi le sol<br />

pour manger du pain, l'ennui ou il etait de ne pas se sentir aime de Francoise, d'autres choses plus vagues, sur<br />

ce qui poussait la, sur son petit qui naitrait bientot, sur tout le travail qu'on faisait, sans en etre souvent plus<br />

heureux. Il reprit les mancherons, il jeta son cri guttural.<br />

—Dia hue! hep!<br />

Jean achevait son labour, lorsque Delhomme, qui revenait a pied d'une ferme voisine, s'arreta au bord du<br />

champ.<br />

—Dites donc, Caporal, vous savez la nouvelle.... Parait qu'on va avoir la guerre.<br />

Il lacha la charrue, il se releva, saisi, etonne du coup qu'il recevait au coeur.<br />

—<strong>La</strong> guerre, comment ca?<br />

Mais avec les Prussiens, a ce qu'on m'a dit.... C'est dans les journaux.<br />

Les yeux fixes, Jean revoyait l'Italie, les batailles de la−bas, ce massacre dont il avait ete si heureux de se tirer,<br />

sans une blessure. A cette epoque, de quelle ardeur il aspirait a vivre tranquille, dans son coin! et voila que<br />

cette parole, criee d'une route par un passant, cette idee de la guerre lui allumait tout le sang du corps!<br />

—Dame! si les Prussiens nous emmerdent.... On ne peut pas les laisser se foutre de nous.<br />

Delhomme n'etait pas de cet avis. Il hocha la tete, il declara que ce serait la fin des campagnes, si l'on y<br />

revoyait les Cosaques comme apres Napoleon. Ca ne rapportait rien de se cogner; valait mieux s'entendre.<br />

—Ce que j'en dis, c'est pour les autres.... J'ai mis de l'argent, chez monsieur Baillehache. Quoi qu'il arrive,<br />

Nenesse, qui tire demain, ne partira pas.<br />

—Bien sur, conclut Jean, calme. C'est comme moi, qui ne leur dois plus rien et qui suis marie a cette heure, je<br />

m'en fiche qu'ils se battent!... Ah! c'est avec les Prussiens! Eh bien! on leur allongera une raclee, voila tout!<br />

—Bonsoir, Caporal!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

III 233

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