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Émile Zola - La Terre

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Puis, voyant qu'il s'excusait, begayait des explications, elle s'emporta.<br />

—Si je ne t'avais pas averti! Mais te l'ai−je assez repete qu'il fallait etre bete et lache pour renoncer a sa<br />

terre!... Tant mieux, si te voila tel que je le disais, chasse par tes gueux d'enfants, courant la nuit comme un<br />

mendiant qui n'a pas meme une pierre a lui pour dormir!<br />

Les mains tendues, il pleura, il essaya de l'ecarter. Elle tenait bon, elle achevait de se vider le coeur.<br />

—Non, non! va demander un lit a ceux qui t'ont vole. Moi, je ne te dois rien. <strong>La</strong> famille m'accuserait encore<br />

de me meler de ses affaires.... D'ailleurs, ce n'est point tout ca, tu as donne ton bien, jamais je ne<br />

pardonnerai....<br />

Et, redressee, avec son cou fletri et ses yeux ronds d'oiseau de proie, elle lui jeta la porte sur la face,<br />

violemment.<br />

—C'est bien fait, creve dehors!<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Fouan resta la, raidi, immobile, devant cette porte impitoyable, pendant que derriere lui, la pluie continuait<br />

avec son roulement monotone. Enfin, il se retourna, il se renfonca dans la nuit d'encre, que noyait cette chute<br />

lente et glacee du ciel.<br />

Ou alla−t−il? Il ne se le rappela jamais bien. Ses pieds glissaient dans les flaques, ses mains tatonnaient pour<br />

ne pas se heurter contre les murs et les arbres. Il ne pensait plus, ne savait plus, ce coin de village dont il<br />

connaissait chaque pierre, etait comme un lieu lointain, inconnu, terrible, ou il se sentait etranger et perdu,<br />

incapable de se conduire. Il obliqua a gauche, craignit des trous, revint a droite, s'arreta frissonnant, menace<br />

de toutes parts. Et, ayant rencontre une palissade, il la suivit jusqu'a une petite porte, qui ceda. Le sol se<br />

derobait, il roula dans un trou. <strong>La</strong>, on etait bien, la pluie ne penetrait pas, il faisait chaud; mais un grognement<br />

l'avait averti, il etait avec un cochon, qui, derange, croyant a de la nourriture, lui poussait deja son groin dans<br />

les cotes. Une lutte s'engagea, il etait si faible, que la peur d'etre devore le fit sortir. Alors, ne pouvant aller<br />

plus loin, il se coucha contre la porte, ramasse, roule en boule, pour que l'avancement du toit le protegeat de<br />

l'eau. Des gouttes quand meme continuerent a lui tremper les jambes, des souffles lui glacaient sur le corps ses<br />

vetements mouilles. Il enviait le cochon, il serait retourne avec lui, s'il ne l'avait pas entendu, derriere son dos,<br />

manger la porte, avec des reniflements voraces.<br />

Au petit jour, Fouan sortit de la somnolence douloureuse ou il s'etait aneanti. Une honte le reprenait, la honte<br />

de se dire que son histoire courait le pays, que tous le savaient par les routes, comme un pauvre. Quand on n'a<br />

plus rien, il n'y a pas de justice, il n'y a pas de pitie a attendre. Il fila le long des haies, avec l'inquietude de<br />

voir une fenetre s'ouvrir, quelque femme matinale le reconnaitre. <strong>La</strong> pluie tombait toujours, il gagna la plaine,<br />

se cacha au fond d'une meule. Et la journee entiere se passa pour lui a fuir de la sorte, d'abri en abri, dans un<br />

tel effarement, qu'au bout de deux heures, il se croyait decouvert et changeait de trou. L'unique idee,<br />

maintenant, qui lui battait le crane, etait de savoir si ce serait bien long de mourir. Il souffrait moins du froid,<br />

la faim surtout le torturait, il allait pour sur mourir de faim. Encore une nuit, encore un jour, peut−etre. Tant<br />

qu'il fit clair, il ne faiblit pas, il aimait mieux finir ainsi que de retourner chez les Buteau. Mais une angoisse<br />

affreuse l'envahit avec le crepuscule qui tombait, une terreur de recommencer l'autre nuit, sous ce deluge<br />

entete. Le froid le reprenait jusque dans les os, la faim lui rongeait la poitrine, intolerable. Lorsque le ciel fut<br />

noir, il se sentit comme noye, emporte par ces tenebres ruisselantes; sa tete ne commandait plus, ses jambes<br />

marchaient toutes seules, la bete l'emmenait; et ce fut alors que, sans l'avoir voulu, il se retrouva dans la<br />

cuisine des Buteau, dont il venait de pousser la porte.<br />

Justement, Buteau et Lise achevaient la soupe aux choux de la veille. Lui, au bruit, avait tourne la tete, et il<br />

regardait Fouan, silencieux, fumant dans ses vetements trempes. Un long temps se passa, il finit par dire avec<br />

II 227

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