sonder les boiseries des armoires, de taper contre les murs, pour entendre s'ils sonnaient le creux. Continuellement, ses regards erraient d'un coin a un autre, dans sa preoccupation unique; et, des qu'il se trouvait seul, il ecartait les enfants, il se remettait a ses fouilles, avec le coup de passion d'un galopin qui saute sur la servante, aussitot que les parents n'y sont plus. Or, ce jour−la comme Buteau rentrait a l'improviste, il apercut Fouan par terre, etendu tout de son long sur le ventre, et le nez sous la commode, en train d'etudier s'il n'y avait pas la une cachette. Cela le jeta hors de lui, car le pere brulait: ce qu'il cherchait dessous etait dessus, cache et comme scelle par le gros poids du marbre. —Nom de Dieu de vieux toque! V'la que vous faites le serpent!... Voulez−vous bien vous relever! Il le tira par les jambes, le remit debout d'une bourrade. —Ah ca! est−ce fini de coller votre oeil a tous les trous? J'en ai assez, de sentir la maison epluchee jusque dans les fentes! Fouan, vexe d'avoir ete surpris, le regarda, repeta en s'enrageant tout d'un coup de colere: —Rends−les moi! —Foutez−moi la paix! lui gueula Buteau dans le nez. —Alors, je souffre trop ici, je m'en vais. —C'est ca, fichez le camp, bon voyage! et si vous revenez, nom de Dieu! c'est que vous n'avez pas de coeur! Il l'avait empoigne par le bras, il le flanqua dehors. <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> II Fouan descendit la cote. Sa colere s'etait brusquement calmee, il s'arreta, en bas, sur la route, hebete de se trouver dehors, sans savoir ou aller. Trois heures sonnerent a l'eglise, un vent humide glacait cette grise apres−midi d'automne; et il grelottait, car il n'avait pas meme ramasse son chapeau, tant la chose s'etait vite faite. Heureusement, il avait sa canne. Un instant, il remonta vers Cloyes; puis, il se demanda ou il allait de ce cote, il rentra dans Rognes, du pas dont il s'y trainait d'habitude. Devant chez Macqueron, l'idee lui vint de boire un verre; mais il se fouillait, il n'avait pas un sou, la honte le prit de se montrer, dans la peur qu'on ne connut deja l'histoire. Justement, il lui sembla que Lengaigne, debout sur sa porte, le regardait de biais, comme on regarde les va−nu−pieds des grands chemins. Lequeu, derriere les vitres d'une des fenetres de l'ecole, ne le salua pas. Ca se comprenait, il retombait dans le mepris de tous, maintenant qu'il n'avait plus rien, depouille de nouveau, et cette fois jusqu'a la peau de son corps. Quand il fut arrive a l'Aigre, Fouan s'adossa un moment contre le parapet du pont. <strong>La</strong> pensee de la nuit qui se ferait bientot, le tracassait. Ou coucher? Pas meme un toit. Le chien des Becu qu'il vit passer, lui fit envie, car cette bete−la, au moins, savait le trou de paille ou elle dormirait. Lui, cherchait confusement, ensommeille dans la detente de sa colere. Ses paupieres s'etaient closes, il tachait de se rappeler les coins abrites, proteges du froid. Cela tournait au cauchemar, tout le pays defilait, nu, balaye de coups de vent. Mais il se secoua, se reveilla, en un sursaut d'energie. Fallait point se desesperer de la sorte. On ne laisserait pas crever dehors un homme de son age. Machinalement, il traversa le pont et se trouva devant la petite ferme des Delhomme. Tout de suite, quand il s'en apercut, il obliqua, tourna derriere la maison, pour qu'on ne le vit point. <strong>La</strong>, il fit une nouvelle pause, colle contre le mur de l'etable, dans laquelle il entendait causer Fanny, sa fille. Etait−ce dont qu'il avait songe a se II 224
emettre chez elle? lui−meme n'aurait pu le dire, ses pieds seuls l'avaient conduit. Il revoyait l'interieur du logis, comme s'il y etait rentre, la cuisine a gauche, sa chambre au premier, au bout du fenil. Un attendrissement lui coupait les jambes, il aurait defailli, si le mur ne l'avait soutenu. Longtemps, il resta immobile, sa vieille echine calee contre cette maison. Fanny parlait toujours dans l'etable, sans qu'il put distinguer les mots: c'etait peut−etre ce gros bruit etouffe qui lui remuait le coeur. Mais elle devait quereller une servante, sa voix se haussa, il l'entendit, seche et dure, sans paroles grossieres, dire des choses si blessantes a cette malheureuse, qu'elle en sanglotait. Et il en souffrait lui aussi, son emotion s'en etait allee, il se raidissait, a la certitude que, s'il avait pousse la porte, sa fille l'aurait accueilli de cette voix mauvaise. Il s'imagina qu'elle repetait: “Papa, il viendra nous demander a genoux de le reprendre!” la phrase qui avait coupe tous liens entre eux, a jamais, comme d'un coup de hache. Non, non! plutot mourir de faim, plutot coucher derriere une haie, que de la voir triompher, de son air fier de femme sans reproche! Il decolla son dos de la muraille, il s'eloigna peniblement. Pour ne pas reprendre la route, Fouan qui se croyait guette par tout le monde, remonta la rive droite de l'Aigre, apres le pont, et se trouva bientot au milieu des vignes. Son idee devait etre de gagner ainsi la plaine, en evitant le village. Seulement, il arriva qu'il dut passer a cote du Chateau, ou ses jambes semblaient aussi l'avoir ramene, dans cet instinct des vieilles betes de somme qui retournent aux ecuries ou elles ont eu leur avoine. <strong>La</strong> montee l'etouffait, il s'assit a l'ecart, soufflant, reflechissant. Surement que, s'il avait dit a Jesus−Christ: “Je vas me plaindre en justice, aide−moi contre Buteau", le bougre l'aurait recu a a cul ouvert; et l'on aurait fait une sacree noce, le soir. Du coin ou il etait, il flairait justement une ripaille, quelque soulerie qui durait depuis le matin. Attire, le ventre creux, il s'approcha, il reconnut la voix de Canon, sentit l'odeur des haricots rouges a l'etuvee, que la Trouille cuisinait si bien, quand son pere voulait feter une apparition du camarade. Pourquoi ne serait−il pas entre godailler entre les deux chenapans, qu'il ecoutait brailler dans la fumee des pipes, bien au chaud, tellement souls, qu'il les jalousait? Une brusque detonation de Jesus−Christ lui alla au coeur, il avancait la main vers la porte, lorsque le rire aigu de la Trouille le paralysa. C'etait la Trouille maintenant qui l'epouvantait, il la revoyait toujours, maigre, en chemise, se jetant sur lui avec sa nudite de couleuvre, le fouillant, le mangeant. Et, alors, a quoi bon, si le pere l'aidait a ravoir ses papiers? la fille serait la pour les lui reprendre sous la peau. Tout d'un coup, la porte s'ouvrit, la gueuse venait jeter un regard dehors, ayant flaire quelqu'un. Il n'avait eu que le temps de se jeter derriere les buissons, il se sauva, en distinguant, dans la nuit tombante, ses yeux verts qui luisaient. Lorsque Fouan fut en plaine, sur le plateau, il eprouva une sorte de soulagement, sauve des autres, heureux d'etre seul et d'en crever. Longtemps, il roda au hasard. <strong>La</strong> nuit s'etait faite, le vent glace le flagellait. Parfois, a certains grands souffles, il devait tourner le dos, l'haleine coupee, sa tete nue herissee de ses rares cheveux blancs. Six heures sonnerent, tout le monde mangeait dans Rognes; et il avait une faiblesse des membres, qui ralentissait sa marche. Entre deux bourrasques, une averse tomba, drue, cinglante. Il fut trempe, marcha encore, en recut deux autres. Et, sans savoir comment, il se trouva sur la place de l'Eglise, devant l'antique maison patrimoniale des Fouan, celle que Francoise et Jean occupaient a cette heure. Non! il ne pouvait s'y refugier, on l'avait aussi chasse de la. <strong>La</strong> pluie redoublait, si rude, qu'une lachete l'envahit. Il s'etait approche de la porte des Buteau, a cote, guettant la cuisine, d'ou sortait une odeur de soupe aux choux. Tout son pauvre corps y revenait se soumettre, un besoin physique de manger, d'avoir chaud, l'y poussait. Mais, dans le bruit des machoires, des mots echanges l'arreterent. —Et le pere, s'il ne rentrait point? <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> —<strong>La</strong>isse donc! il est trop sur sa gueule, pour ne pas rentrer quand il aura faim! Fouan s'ecarta, avec la crainte qu'on ne l'apercut a cette porte, comme un chien battu qui retourne a sa patee. Il etait suffoque de honte, une resolution farouche le prenait de se laisser mourir dans un coin. On verrait bien s'il etait sur sa gueule! Il redescendit la cote, il s'affaissa au bout d'une poutre, devant la marechalerie de Clou. Ses jambes ne pouvaient plus le porter, il s'abandonnait, dans le noir, et le desert de la route, car les veillees II 225
- Page 1 and 2:
La Terre Emile Zola
- Page 3 and 4:
This page copyright © 2003 Blackma
- Page 5 and 6:
plaine ainsi qu'un fosse, l'etroit
- Page 7 and 8:
c'est a mon oncle Fouan; puis, apre
- Page 9 and 10:
—Dis donc, le vacher a du rester
- Page 11 and 12:
—Adieu, alors! —Adieu! repondit
- Page 13 and 14:
Un grand gaillard entra, dans toute
- Page 15 and 16:
maitresse a ses fils, comme son per
- Page 17 and 18:
Fouan, hors de lui, maintenait son
- Page 19 and 20:
—Ah! fichue graine! dire qu'on a
- Page 21 and 22:
cesse remise en question, heritages
- Page 23 and 24:
Un gamin de douze ans, sale et depe
- Page 25 and 26:
—Ah! si le pere avait voulu, c'es
- Page 27 and 28:
a Rognes, d'ou ils veillaient sur l
- Page 29 and 30:
—Un chat qui ne vaut pas la corde
- Page 31 and 32:
permettre une excuse. D'ailleurs, l
- Page 33 and 34:
cheveux rares, la face plate, molle
- Page 35 and 36:
Il resta debout et muet devant le p
- Page 37 and 38:
Cependant, Becu gueulait qu'il paya
- Page 39 and 40:
Buteau, le front dur d'obstination,
- Page 41 and 42:
terreur, s'affaisserent, ne bougere
- Page 43 and 44:
—Je ne veux pas partir, je veux r
- Page 45 and 46:
La Terre —Et le droit de cuissage
- Page 47 and 48:
—Ca, c'est vrai! lanca Becu, pend
- Page 49 and 50:
—Dites donc, Caporal, demanda Fou
- Page 51 and 52:
La Terre pointe aigue d'un soupcon.
- Page 53 and 54:
juste lire, ecrire et compter, tres
- Page 55 and 56:
La Terre crottin, le jetait hors de
- Page 57 and 58:
La Terre sa substance, et ou il ret
- Page 59 and 60:
—Descendez, vaut mieux le tirer d
- Page 61 and 62:
malgre leur angoisse, se couperent
- Page 63 and 64:
—Pauvre pere, murmura Francoise,
- Page 65 and 66:
vers le commencement du siecle, on
- Page 67 and 68:
avant d'avoir fait signer les papie
- Page 69 and 70:
ce surnom lui nuisait, au marche. D
- Page 71 and 72:
Lise, pourtant, s'etait calmee. La
- Page 73 and 74:
—Est−ce vrai, ce qu'on raconte,
- Page 75 and 76:
—Mon oncle, on m'a conte que l'au
- Page 77 and 78:
Francoise eclata de nouveau, a cett
- Page 79 and 80:
apercevait les jambes, peu a peu ex
- Page 81 and 82:
Il se remit a son aile de pigeon, i
- Page 83 and 84:
et de qualite meilleure, le proprie
- Page 85 and 86:
—Hein! disait−il, en voila, un
- Page 87 and 88:
lorsqu'on ne tenait a rien ni a per
- Page 89 and 90:
La Terre Pourtant, Hourdequin resta
- Page 91 and 92:
designa brusquement le dos d'un hom
- Page 93 and 94:
—Par ici, dit Lise en tournant la
- Page 95 and 96:
Il tourna le dos, il revint, et ell
- Page 97 and 98:
C'etait la fin du marche. L'argent
- Page 99 and 100:
maintenait son gain d'un air de tra
- Page 101 and 102:
Il s'attendrissait, ses yeux se mou
- Page 103 and 104:
La Terre —Ou donc? Ah! oui, a vot
- Page 105 and 106:
l'enfant. Ce fut ainsi que Jean et
- Page 107 and 108:
—Oui, il fait bon, repeta enfin J
- Page 109 and 110:
Certainement, Lise et Francoise ne
- Page 111 and 112:
—Oui, expliqua lentement le vieux
- Page 113 and 114:
Un instant, la malheureuse resta mu
- Page 115 and 116:
L'autre se dandinait. —Quand on p
- Page 117 and 118:
—Ce n'est pas d'un pere, ce que v
- Page 119 and 120:
Et il la poussa, d'une secousse si
- Page 121 and 122:
Il se crut vole, il se fouilla, pal
- Page 123 and 124:
—Sur ma fille... Je vas ecrire au
- Page 125 and 126:
C'etait la Trouille, en effet, qui
- Page 127 and 128:
—Non, plus rien, vous etes assez
- Page 129 and 130:
sur la table, assomme; il acheva le
- Page 131 and 132:
—Nom de Dieu! dit Buteau, qui s'e
- Page 133 and 134:
Buteau, sous les coups, commencait
- Page 135 and 136:
Cependant, Buteau s'etonnait d'avoi
- Page 137 and 138:
Tous, saisis, ne bougeaient plus. E
- Page 139 and 140:
paix? il pouvait bien attendre! C'e
- Page 141 and 142:
Francoise joignit les mains, suppli
- Page 143 and 144:
Toujours courant, Francoise etait a
- Page 145 and 146:
Le trou beant s'arrondit encore, a
- Page 147 and 148:
D'ailleurs, Lise, son etonnement pa
- Page 149 and 150:
Elle repliqua rudement: —La mere
- Page 151 and 152:
—Quoi? —La marraine est la....
- Page 153 and 154:
Des qu'il fut seul, Buteau, meconte
- Page 155 and 156:
—Et apres? si je veux d'elle et s
- Page 157 and 158:
lendemain de la moisson, qu'il le p
- Page 159 and 160:
esolu a ne parler que le jour ou la
- Page 161 and 162:
—Oui, oui.... Seulement, vous sav
- Page 163 and 164:
desertion de la culture; mais enfin
- Page 165 and 166:
La Terre Et il continua sa route. L
- Page 167 and 168:
—C'est ma soeur, mais qu'elle ne
- Page 169 and 170:
de recommencer ca, avec ce garcon.
- Page 171 and 172:
La Terre plus, car elle se doutait
- Page 173 and 174:
—Dis que tu as menti, sale cochon
- Page 175 and 176: de vous etre refuse un fin morceau?
- Page 177 and 178: La Terre lignes de fond posees, des
- Page 179 and 180: La Terre confiance, en loques, tres
- Page 181 and 182: —Maintenant, retourne−toi. Il c
- Page 183 and 184: son pere, feignant de ne pas l'avoi
- Page 185 and 186: terre; ca le tenait si fort, qu'il
- Page 187 and 188: —Ah! ouiche! j'ai vu justement ce
- Page 189 and 190: masure. Pendant un mois, des ouvrie
- Page 191 and 192: C'etait Suzanne, la fille aux Lenga
- Page 193 and 194: out de la vigne: La Terre —N'est
- Page 195 and 196: —Voyons, voyons... Puisqu'il est
- Page 197 and 198: La Terre faisait battre par son hom
- Page 199 and 200: Coelina, qui servait, eut un geste
- Page 201 and 202: Hourdequin eclata d'un gros rire a
- Page 203 and 204: —Tais ta gueule, mon petit! Ils n
- Page 205 and 206: Tous fremirent, et ce soulard de Je
- Page 207 and 208: elle n'eut plus qu'une envie, quitt
- Page 209 and 210: marchait, ca commencait a etre amus
- Page 211 and 212: afin d'eviter tout ennui. Francoise
- Page 213 and 214: D'un saut, Buteau se trouva debout,
- Page 215 and 216: deux mioches, lachant des injures,
- Page 217 and 218: Au moment ou les Buteau, de leur co
- Page 219 and 220: —On est si vole! repondit Jean. L
- Page 221 and 222: La Terre —Alors, c'est donc du se
- Page 223 and 224: La Terre —Alors, en v'la assez, c
- Page 225: Francoise y aidait Jean a charger u
- Page 229 and 230: Puis, voyant qu'il s'excusait, bega
- Page 231 and 232: La Terre Le vieux ne le regarda pas
- Page 233 and 234: entiere au bout d'une poutre, accro
- Page 235 and 236: maison, le sentiment qu'il demeurai
- Page 237 and 238: Mais elle eut son roucoulement de g
- Page 239 and 240: La Terre hatait le pas malgre son e
- Page 241 and 242: —Nom de Dieu de feignante! quand
- Page 243 and 244: La Terre —J'etais venue a l'herbe
- Page 245 and 246: La Terre Cependant, lui, depuis qu'
- Page 247 and 248: En effet, depuis deux ans et demi q
- Page 249 and 250: —Qu'est−ce que tu veux y foutre
- Page 251 and 252: —Nom de Dieu de maladroit! cria N
- Page 253 and 254: La Terre Jesus−Christ approuvait,
- Page 255 and 256: facile et plus drole, mettez−vous
- Page 257 and 258: Et les Buteau, qui avaient compte s
- Page 259 and 260: son elan, tapant de la tete ainsi q
- Page 261 and 262: alle jusqu'au bout, sans omettre un
- Page 263 and 264: La Terre C'etait pour les Charles u
- Page 265 and 266: —Comment, pourquoi? Mais parce qu
- Page 267 and 268: —Nom de Dieu! c'est encore toi...
- Page 269 and 270: Alors Buteau se rua, pesa de tout l
- Page 271 and 272: Lorsque, vers neuf heures, Jean eut
- Page 273 and 274: La Terre cendre des papiers: du mon
- Page 275 and 276: Les Buteau, lorsqu'ils apercurent J
- Page 277 and 278:
souffrir dans cette vie. Lorsque De
- Page 279 and 280:
qui sort comme elle est entree, ave