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Émile Zola - La Terre

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Francoise y aidait Jean a charger une voiture de fumier. Tandis que lui, au fond de la fosse, la vidait a la<br />

fourche, elle, en haut, recevait les paquets, les tassait des talons, pour qu'il en tint davantage.<br />

Debout devant eux, le vieux, appuye sur sa canne, avait commence sa plainte.<br />

—Hein? est−ce vexant tout de meme, de l'argent a moi, qu'ils m'ont pris et qu'ils ne veulent pas me rendre!...<br />

Qu'est−ce que vous feriez, vous autres?<br />

Trois fois, Francoise lui laissa repeter la question. Elle etait tres ennuyee qu'il vint causer ainsi, elle le recevait<br />

froidement, desireuse d'eviter tout sujet de querelle avec les Buteau.<br />

—Vous savez, mon oncle, finit−elle par repondre, ca ne nous regarde pas, nous sommes trop heureux d'en etre<br />

sortis, de cet enfer!<br />

Et, lui tournant le dos, elle continua de fouler dans la voiture, ayant du fumier jusqu'aux cuisses, submergee<br />

presque, quand son homme lui en envoyait des fourchees coup sur coup. Elle disparaissait alors au milieu de<br />

la vapeur chaude, a l'aise et le coeur d'aplomb, dans l'asphyxie de cette fosse remuee.<br />

—Car je ne suis pas fou, ca se voit, n'est−ce pas? poursuivit Fouan, sans paraitre l'avoir entendue. Ils<br />

devraient me le rendre, mon argent.... Vous autres, est−ce que vous me croyez capable de le detruire?<br />

Ni Francoise ni Jean ne soufflerent mot.<br />

—Faudrait etre fou, hein? et je ne suis pas fou.... Vous pourriez en temoigner, vous autres.<br />

Brusquement, elle se redressa, en haut de la voiture chargee; et elle avait l'air tres grand, saine et forte, comme<br />

si elle eut pousse la, et que cette odeur de fecondite fut sortie d'elle. Les mains sur les hanches, la gorge ronde,<br />

elle etait maintenant une vraie femme.<br />

—Ah! non, ah! non, mon oncle, en v'la assez! Je vous ai dit de ne pas nous meler a toutes ces gueuseries.... Et,<br />

tenez! puisque nous en sommes la−dessus, vous feriez peut−etre bien de ne plus venir nous voir.<br />

—C'est donc que tu me renvoies? demanda le vieux tremblant.<br />

Jean crut devoir intervenir.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Non, c'est que nous ne voulons pas de dispute. On en aurait pour trois jours a s'empoigner, si l'on vous<br />

apercevait ici.... Chacun sa tranquillite, n'est−ce pas?<br />

Fouan restait immobile, a les regarder l'un apres l'autre de ses pauvres yeux pales. Puis, il s'en alla.<br />

—Bon! si j'ai besoin d'un secours, faudra que j'aille autre part que chez vous.<br />

Et ils le laisserent partir, le coeur mal a l'aise, car ils n'etaient point mechants encore; mais quoi faire? ca ne<br />

l'aurait aide en rien, et eux surement y auraient perdu l'appetit et le sommeil. Pendant que son homme allait<br />

chercher son fouet, elle, soigneusement, avec une pelle, ramassa les fientes tombees et les rejeta sur la voiture.<br />

Le lendemain, une scene violente eclata entre Fouan et Buteau. Chaque jour, du reste, l'explication<br />

recommencait sur les titres, l'un repetant son eternel: Rends−les−moi! avec l'obstination de l'idee fixe, l'autre<br />

refusant d'un: Foutez−moi la paix! toujours le meme. Mais peu a peu les choses se gataient, depuis surtout que<br />

le vieux cherchait ou son fils avait bien pu cacher le magot. C'etait son tour de visiter la maison entiere, de<br />

CINQUIEME PARTIE 223

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