Lui aussi resta suffoque d'abord. Puis, une joie folle les emporta tous les deux, ils se prirent par les mains, ils sauterent l'un devant l'autre comme des chevres, oubliant le malade qui, les yeux fermes maintenant, la tete clouee dans l'oreiller, devidait sans fin les bouts de fil rompus de son delire. Il labourait. —Eh! la, rosse, veux−tu!... Ca n'a pas trempe, c'est du caillou, nom de Dieu!... Les bras s'y cassent, faudra en acheter d'autres.... Dia hue! bougre! —Chut! murmura Lise, qui se tourna en tressaillant. —Ah! ouiche! repondit Buteau, est−ce qu'il sait? Tu ne l'entends donc pas dire des betises? Ils s'assirent pres du lit, les jambes brisees, tant la secousse de leur joie venait d'etre forte. —D'ailleurs, reprit−elle, on ne pourra pas nous accuser d'avoir fouille, car Dieu m'est temoin que je n'y songeais guere, a son argent! Il m'a saute dans la main.... Voyons voir. Lui, deja, depliait les papiers, additionnait a voix, haute. —Deux cent trente, et soixante−dix, trois cents tout ronds.... C'est bien ca, j'avais calcule juste, a cause du trimestre, des quinze pieces de cent sous, l'autre fois, chez le percepteur.... C'est du cinq pour cent. Hein? est−ce drole que des petits papiers si vilains, ca soit de l'argent tout de meme, aussi solide que le vrai! Mais Lise, de nouveau, le fit taire, effrayee d'un brusque ricanement du vieux, qui peut−etre bien en etait a la grande moisson, celle, sous Charles X, qu'on n'avait pu serrer, faute de place. —Y en a! y en a!... C'en est farce, tant y en a!... Ah! bon sang! quand y en a, y en a! Et son rire etrangle avait l'air d'un rale, sa joie devait etre tout au fond, car rien n'en paraissait sur sa face immobile. —C'est des idees d'innocent qui lui passent, dit Buteau en haussant les epaules. Il y eut un silence, tous les deux regardaient les papiers, reflechissant. —Alors, quoi? finit par murmurer Lise, faut les remettre, hein? Mais, d'un geste energique, il refusa. —Oh! si, si, faut les remettre.... Il les cherchera, il criera, ca nous ferait une belle histoire, avec les autres cochons de la famille. Elle s'interrompit une troisieme fois, saisie d'entendre le pere pleurer. C'etait une misere, un desespoir immense, des sanglots qui semblaient venir de toute sa vie et sans qu'on sut pourquoi, car il repetait seulement d'une voix de plus en plus creuse: —C'est foutu... c'est foutu... c'est foutu.... —Et tu crois, reprit violemment Buteau, que je vas laisser ses papiers a ce vieux−la qui perd la boule!... Pour qu'il les dechire ou qu'il les brule, ah! non, par exemple! —Ca, c'est bien vrai, murmura−t−elle. <strong>La</strong> <strong>Terre</strong> CINQUIEME PARTIE 220
<strong>La</strong> <strong>Terre</strong> —Alors, en v'la assez, couchons−nous.... S'il les demande, je lui repondrai, j'en fais mon affaire. Et que les autres ne m'embetent pas! Ils se coucherent, apres avoir, a leur tour, cache les papiers sous le marbre d'une vieille commode, ce qui leur semblait plus sur qu'au fond d'un tiroir ferme a clef. Le pere, laisse seul, sans chandelle, de crainte du feu, continua a causer et a sangloter toute la nuit, dans son delire. Le lendemain, M. Finet le trouva plus calme, mieux qu'il ne l'esperait. Ah! ces vieux chevaux de labour, ils ont l'ame chevillee au corps! <strong>La</strong> fievre qu'il avait crainte semblait ecartee. Il ordonna du fer, du quinquina, des drogues de riche, dont la cherte consterna de nouveau le menage; et, comme il partait, il eut a se debattre contre la Frimat, qui l'avait guette. —Mais, ma brave femme, je vous ai deja dit que votre homme et cette borne, c'est la meme chose.... Je ne peux pas faire grouiller les pierres, que diable!... Vous savez comment ca finira, n'est−ce pas? et le plus vite sera le meilleur, pour lui et pour vous. Il fouetta son cheval, elle tomba assise sur la borne, en larmes. Sans doute, c'etait long deja, d'avoir soigne son homme depuis douze ans; et ses forces s'en allaient avec l'age, elle tremblait de ne pouvoir bientot plus cultiver son coin de terre; mais, n'importe! ca lui retournait le coeur, l'idee de perdre le vieil infirme qui etait devenu comme son enfant, qu'elle portait, changeait, gatait de friandises. Le bon bras dont il se servait encore, s'engourdissait lui aussi, si bien que, maintenant, c'etait elle qui devait lui planter la pipe dans la bouche. Au bout de huit jours, M. Finet fut etonne de voir Fouan debout, mal solide, mais s'obstinant a marcher, parce que, disait−il, ce qui empeche de mourir, c'est de ne pas vouloir. Et Buteau, derriere le medecin, ricanait, car il avait supprime les ordonnances, des la seconde, declarant que le plus sur etait delaisser le mal se manger lui−meme. Pourtant, le jour du marche, Lise eut la faiblesse de rapporter une potion ordonnee la veille; et, comme le docteur venait le lundi, pour la derniere fois, Buteau lui conta que le vieux avait failli rechuter. —Je ne sais pas ce qu'ils ont fichu dans votre bouteille, ca l'a rendu bougrement malade. Ce fut ce soir−la que Fouan se decida a parler. Depuis qu'il se levait, il pietinait d'un air anxieux dans la maison, la tete vide, ne se rappelant plus ou il avait bien pu cacher ses papiers. Il furetait, fouillait partout, faisait des efforts desesperes de memoire. Puis, un vague souvenir lui revint: peut−etre qu'il ne les avait pas caches, qu'ils etaient restes la, sur la planche. Mais, quoi? s'il se trompait, si personne ne les avait pris, allait−il donc lui−meme donner l'eveil, avouer l'existence de cet argent peniblement amasse autrefois, dissimule ensuite avec tant de soin? Pendant deux jours encore, il lutta, combattu entre la rage de cette brusque disparition et la necessite ou il s'etait mis de ne pas en ouvrir la bouche. Les faits pourtant se precisaient, il se souvenait que, le matin de son attaque, il avait pose le paquet a cette place, en attendant de le glisser, au plafond, dans la fente d'une poutre, qu'il venait de decouvrir de son lit, les yeux en l'air. Et, depouille, torture, il lacha tout. On avait mange la soupe du soir. Lise rangeait les assiettes, et Buteau, goguenard, qui suivait son pere des yeux depuis le jour ou il s'etait releve, s'attendait a l'affaire, se balancait sur sa chaise, en se disant que ca y etait cette fois, tant il le voyait excite et malheureux. En effet, le vieux, dont les jambes molles chancelaient a battre obstinement la piece, se planta tout d'un coup devant lui. —Les papiers? demanda−t−il d'une voix rauque qui s'etranglait. Buteau cligna les paupieres, l'air profondement surpris, comme s'il ne comprenait pas. —Hein? qu'est−ce que vous dites?... Les papiers, quels papiers? CINQUIEME PARTIE 221
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—Par ici, dit Lise en tournant la
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—Oui, il fait bon, repeta enfin J
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—Oui, expliqua lentement le vieux
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Il se crut vole, il se fouilla, pal
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—Non, plus rien, vous etes assez
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Buteau, sous les coups, commencait
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Francoise joignit les mains, suppli
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Des qu'il fut seul, Buteau, meconte
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Les Buteau, lorsqu'ils apercurent J
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souffrir dans cette vie. Lorsque De
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qui sort comme elle est entree, ave