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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

—Alors, c'est donc du serieux?... Possible que ca dure huit jours, hein?... Mon Dieu! qu'il y en a long!<br />

qu'est−ce que vous lui ecrivez la−dessus?<br />

M. Finet ne repondait pas, habitue a ces interrogations des paysans que la maladie bouleverse, ayant pris le<br />

parti sage de les traiter comme les chevaux, sans entrer en conversation avec eux. Il avait une grande pratique<br />

des cas frequents, il les tirait generalement d'affaire, mieux que ne l'aurait fait un homme de plus de science.<br />

Mais la mediocrite ou il les accusait de l'avoir reduit, le rendait dur pour eux, ce qui augmentait leur<br />

deference, malgre le continuel doute qu'ils gardaient sur l'efficacite de ses potions. Ca ferait−il autant de bien<br />

que ca couterait d'argent?<br />

—Alors, reprit Buteau, effraye devant la page d'ecriture, vous croyez qu'avec tout ca il ira mieux?<br />

Le medecin se contenta de hausser les epaules. Il etait retourne devant le malade, interesse, surpris de<br />

constater un peu de fievre, apres ce cas leger de congestion cerebrale. Les yeux sur sa montre, il recompta les<br />

battements du pouls, sans meme essayer d'obtenir une indication du vieux, qui le regardait de son air hebete.<br />

Et, lorsqu'il s'en alla, il dit simplement:<br />

—C'est une affaire de trois semaines.... Je reviendrai demain. Ne vous etonnez pas s'il bat la campagne cette<br />

nuit.<br />

Trois semaines! Les Buteau n'avaient entendu que cela, et ils demeurerent consternes. Que d'argent, s'il y avait<br />

tous les soirs une queue pareille de remedes! Le pis etait que Buteau dut, a son tour, monter dans la carriole,<br />

pour courir chez le pharmacien de Cloyes. C'etait un samedi; la Frimat, qui revenait de vendre ses legumes,<br />

trouva Lise seule, si desolee, qu'elle pietinait, sans rien faire; et la vieille aussi se desespera, en apprenant<br />

l'histoire: elle n'avait jamais eu de chance, elle aurait au moins profite du medecin pour son vieux, par−dessus<br />

le marche, si cela etait arrive un autre jour. Deja, la nouvelle s'etait repandue dans Rognes, car l'on vit accourir<br />

la Trouille, effrontee; et elle refusa de partir, avant d'avoir touche la main de son grand−pere, elle retourna<br />

dire a Jesus−Christ qu'il n'etait pas mort, surement. Tout de suite, derriere cette gourgandine, la Grande parut,<br />

envoyee evidemment par Fanny; celle−la se planta devant le lit de son frere, le jugea a la fraicheur de l'oeil,<br />

comme les anguilles de l'Aigre; puis, elle s'en alla, avec un froncement du nez, en ayant l'air de regretter que<br />

ce ne fut pas pour ce coup−ci. Des lors, la famille ne se derangea plus. Pourquoi faire, puisqu'il y avait gros a<br />

parier qu'il en rechapperait?<br />

Jusqu'a minuit, la maison fut en l'air. Buteau etait rentre d'une humeur execrable. Il y avait des sinapismes<br />

pour les jambes, une potion a prendre d'heure en heure, une purge, en cas de mieux, le lendemain matin. <strong>La</strong><br />

Frimat aida volontiers; mais, a dix heures, tombant de sommeil, mediocrement interessee, elle se coucha.<br />

Buteau, qui desirait en faire autant, bousculait Lise. Qu'est−ce qu'ils fichaient la? Bien sur que de regarder le<br />

vieux, ca ne le soulageait point. Il divaguait maintenant, causait tout haut de choses qui n'avaient guere de<br />

suite, devait se croire dans les champs, ou il travaillait dur, ainsi qu'aux jours lointains de son bel age. Et Lise,<br />

mal a l'aise de ces vieilles histoires begayees a voix basse, comme si le pere fut enterre deja et qu'il revint,<br />

allait suivre son mari, qui se deshabillait, lorsqu'elle songea a ranger les vetements du malade, restes sur une<br />

chaise. Elle les secoua avec soin, apres avoir longuement fouille les poches, dans lesquelles elle ne decouvrit<br />

qu'un mauvais couteau et de la ficelle. Ensuite, comme elle les accrochait au fond du placard, elle apercut en<br />

plein milieu d'une planche, lui crevant les yeux, un petit paquet de papiers. Elle en eut une crampe au coeur: le<br />

magot! le magot tant guette depuis un mois, cherche dans des endroits extraordinaires, et qui se presentait la,<br />

ouvertement, sous sa main! C'etait donc que le vieux voulait le changer de cachette, quand le mal l'avait<br />

culbute?<br />

—Buteau! Buteau! appela−t−elle, si serree a la gorge, qu'il accourut en chemise, croyant que son pere passait.<br />

CINQUIEME PARTIE 219

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