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Émile Zola - La Terre

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<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

Buteau, sans hate, acheva d'etaler ses derniers las. Il grognait. Le pere malade, en voila un embetement!<br />

Peut−etre bien que ce n'etait qu'une frime, histoire de se faire dorloter. Puis, l'idee que ca devait etre serieux<br />

tout de meme, pour que la femme eut pris sur elle la depense du medecin, le decida a remettre sa veste.<br />

—Celui−la le pese, son fumier! murmura Hourdequin, interesse par la fumure de la piece voisine. A paysan<br />

avare, terre avare... Et un vilain bougre, dont vous ferez bien de vous mefier, apres vos histoires avec lui....<br />

Comment voulez−vous que ca marche, quand il y a tant de salopes et tant de coquins sur la terre? Elle a assez<br />

de nous, parbleu!<br />

Il s'en alla vers la Borderie, repris de tristesse, au moment meme ou Buteau rentrait a Rognes, de son pas<br />

lourd. Et Jean, reste seul, termina sa besogne deposant tous les dix metres des fourchees de fumier, qui<br />

degageaient un redoublement de vapeurs ammoniacales. D'autres tas fumaient au loin, noyaient l'horizon d'un<br />

fin brouillard bleuatre. Toute la Beauce en restait tiede et odorante, jusqu'aux gelees.<br />

Les Buteau etaient toujours chez la Frimat, ou ils occupaient la maison, sauf la piece du rez−de−chaussee, sur<br />

le derriere, qu'elle s'etait reservee pour elle et pour son homme paralytique. Ils s'y trouvaient trop a l'etroit,<br />

leur regret etait surtout de ne plus avoir de potager; car, naturellement, elle gardait le sien, ce coin qui lui<br />

suffisait a nourrir et a dorloter l'infirme. Cela les aurait fait demenager, en quete d'une installation plus large,<br />

s'ils ne s'etaient apercus que leur voisinage exasperait Francoise. Seul, un mur mitoyen separait les deux<br />

heritages. Et ils affectaient de dire tres haut, afin d'etre entendus, qu'ils campaient la, qu'ils allaient pour sur<br />

rentrer chez eux, a cote, au premier jour. Alors inutile, n'est−ce pas, de se donner le souci d'un nouveau<br />

derangement? Pourquoi, comment rentreraient−ils? ils ne s'expliquaient point; et c'etait cet aplomb, cette<br />

certitude folle basee sur des choses inconnues, qui jetait Francoise hors d'elle, gatant sa joie d'etre restee<br />

maitresse de la maison; sans compter que sa soeur Lise plantait des fois une echelle contre le mur, pour lui<br />

crier de vilaines paroles. Depuis le reglement definitif des comptes, chez M. Baillehache, elle se pretendait<br />

volee, elle ne tarissait pas en accusations abominables, lancees d'une cour a l'autre.<br />

Lorsque Buteau arriva enfin, il trouva le pere Fouan etale sur son lit, dans le recoin qu'il occupait derriere la<br />

cuisine, sous l'escalier du fenil. Les deux enfants le gardaient, Jules age de huit ans deja, <strong>La</strong>ure de trois, jouant<br />

par terre a faire des ruisseaux, avec la cruche du vieux, qu'ils vidaient.<br />

—Eh bien! quoi donc? demanda Buteau, debout devant le lit.<br />

Fouan avait repris connaissance. Ses yeux grands ouverts se tournerent avec lenteur, regarderent fixement;<br />

mais il ne remua pas la tete, il semblait petrifie.<br />

—Dites donc, pere, y a trop de besogne, pas de betises!... Faut pas vous raidir aujourd'hui.<br />

Et, comme <strong>La</strong>ure et Jules venaient de casser la cruche, il leur allongea une paire de gifles qui les fit hurler. Le<br />

vieux n'avait pas referme les paupieres, regardait toujours, de ses prunelles elargies et fixes. Rien a faire,<br />

alors, puisqu'il ne gigotait pas plus que ca. On verrait bien ce que le medecin dirait. Il regretta d'avoir quitte<br />

son champ, il se mit a fendre du bois devant la porte, histoire de s'occuper.<br />

Du reste, Lise, presque tout de suite, ramena M. Finet, qui examina longuement le malade, pendant qu'elle et<br />

son homme attendaient, d'un air d'inquietude. <strong>La</strong> mort du vieux les eut debarrasses, si le mal l'avait tue d'un<br />

coup; mais, a cette heure, ca pouvait durer longtemps, ca couterait gros peut−etre; et, s'il claquait avant qu'ils<br />

eussent son magot, Fanny et Jesus−Christ viendraient les embeter bien sur. Le silence du medecin acheva de<br />

les troubler. Quand il se fut assis dans la cuisine, pour rediger une ordonnance, ils se deciderent a lui poser des<br />

questions.<br />

CINQUIEME PARTIE 218

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