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Émile Zola - La Terre

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Au moment ou les Buteau, de leur cote, deballaient leurs nippes chez la Frimat, ils furent etonnes de voir<br />

paraitre le pere Fouan, qui demanda, suffoque, effare, avec un regard en arriere, comme si quelque malfaiteur<br />

le poursuivait:<br />

—Y a−t−il un coin pour moi, ici? Je viens coucher.<br />

<strong>La</strong> <strong>Terre</strong><br />

C'etait toute une epouvante qui le faisait galoper, en fuite du Chateau. Il ne pouvait plus se reveiller la nuit,<br />

sans que la Trouille en chemise promenat dans la chambre sa maigre nudite de garcon, a la recherche des<br />

papiers, qu'il avait fini par cacher dehors, au fond d'un trou de roche, mure de terre. Jesus−Christ l'envoyait,<br />

cette garce, a cause de sa legerete, de sa souplesse, pieds nus, se coulant partout, entre les chaises, sous le lit,<br />

ainsi qu'une couleuvre; et elle se passionnait a cette chasse, persuadee que le vieux reprenait les papiers sur lui<br />

en s'habillant, furieuse de ne pas decouvrir ou il les deposait, avant de se coucher; car il n'y avait certainement<br />

rien dans le lit, elle y enfoncait son bras mince, le sondait d'une main adroite, dont le grand−pere devinait a<br />

peine le frolement. Mais voila qu'apres le dejeuner, ce jour−la, il avait ete pris d'une faiblesse, etourdi, culbute<br />

pres de la table. Et, en revenant a lui, si assomme encore qu'il ne rouvrait pas les yeux, il s'etait retrouve par<br />

terre, a la meme place, il avait eu l'emotion de sentir que Jesus−Christ et la Trouille le deshabillaient. Au lieu<br />

de lui porter secours, les bougres n'avaient qu'une idee, profiter vite de l'occasion, le visiter. Elle surtout y<br />

mettait une brutalite colere, n'y allant plus doucement, tirant sur la veste, sur la culotte, et aie donc! regardant<br />

jusqu'a la peau, dans tous les trous, afin d'etre sure qu'il n'y avait pas fourre son magot. Des deux poings elle le<br />

retournait, lui ecartait les membres, le fouillait comme une vieille poche vide. Rien! Ou donc avait−il sa<br />

cachette? C'etait a l'ouvrir pour voir dedans! Une telle terreur d'etre assassine, s'il bougeait, l'avait saisi, qu'il<br />

continuait de feindre l'evanouissement, les paupieres closes, les jambes et les bras morts. Seulement, lache<br />

enfin, libre, il s'etait enfui, bien resolu a ne pas coucher au Chateau.<br />

—Alors, vous avez un coin pour moi? demanda−t−il encore.<br />

Buteau semblait ragaillardi par ce retour imprevu de son pere. C'etait de l'argent qui revenait.<br />

—Mais bien sur, vieux! On se serrera donc! Ca nous portera chance.... Ah! nom de Dieu! je serais riche, s'il<br />

ne s'agissait que d'avoir du coeur!<br />

Francoise et Jean etaient entres lentement dans la maison vide. <strong>La</strong> nuit tombait, une derniere lueur triste<br />

eclairait les pieces silencieuses. Tout cela etait tres ancien, ce toit patrimonial qui avait abrite le travail et la<br />

misere de trois siecles; si bien que quelque chose de grave trainait la, comme dans l'ombre des vieilles eglises<br />

de village. Les portes etaient restees ouvertes, un coup d'orage semblait avoir souffle sous les poutres, des<br />

chaises gisaient par terre, en deroute, au milieu de la debacle du demenagement. On aurait dit une maison<br />

morte.<br />

Et Francoise, a petits pas, faisait le tour, regardait partout. Des sensations confuses, des souvenirs vagues<br />

s'eveillaient en elle. A cette place, elle avait joue enfant. C'etait dans la cuisine, pres de la table, que son pere<br />

etait mort. Dans la chambre, devant le lit sans paillasse, elle se rappela Lise et Buteau, les soirs ou ils se<br />

prenaient si rudement, qu'elle les entendait souffler a travers le plafond. Est−ce que, maintenant encore, ils<br />

allaient la tourmenter? Elle sentait bien que Buteau etait toujours present. Ici, il l'avait empoignee un soir, et<br />

elle l'avait mordu. <strong>La</strong> aussi, la aussi. Dans tous les coins, elle retrouvait des idees qui l'emplissaient de trouble.<br />

Puis, comme Francoise se retournait, elle resta surprise d'apercevoir Jean. Que faisait−il donc chez eux, cet<br />

etranger? Il avait un air de gene, il paraissait en visite, n'osant toucher a rien. Une sensation de solitude la<br />

desola, elle fut desesperee de ne pas etre plus joyeuse de sa victoire. Elle aurait cru entrer la en criant de<br />

contentement, en triomphant derriere le dos de sa soeur. Et la maison ne lui faisait pas plaisir, elle avait le<br />

coeur barbouille de malaise. C'etait peut−etre ce jour si melancolique qui tombait. Elle et son homme finirent<br />

par se trouver dans la nuit noire, rodant toujours d'une piece a une autre, sans avoir eu meme le courage<br />

VI 215

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